camilla toulmin afficheLa lecture du livre de Camilla Toulmin « Cultiver, migrer, investir » et l’excellent compte rendu qu’en a fait Jacques Chantereau m’ont inspiré quelques commentaires sur cet ouvrage particulièrement intéressant.

Jacques Chantereau dans sa présentation du livre de Camilla Toulmin souligne la qualité et la richesse d’information de cet ouvrage, nourries par l’observation et l’analyse, sur près de quarante ans, de l’évolution au Mali d’un village bambara et de son environnement. Cette analyse diachronique rappelle les études de terroirs de l’ex Orstom initiées par Sauter et Pelissier en Afrique subsaharienne et qui ont donné lieu à la publication de référence : Terroirs anciens et approches renouvelées.

Ce compte rendu met bien en évidence les principaux facteurs de l’évolution agraire de ce village et de son environnement, entre autres, la forte croissance démographique qui caractérise les pays du Sahel, l’impact des conflits jihadistes, le recours à la traction bovine, le rôle de l’émigration et la transformation des rapports sociaux où l’individualisme érode les solidarités familiales traditionnelles.

Sur le plan agronomique, on observe, sous l’effet de la croissance démographique, une extension des cultures au détriment des terres de parcours, favorisée par le recours à la traction bovine pour la mise en culture des terres. Une telle évolution explique en partie les conflits entre agriculteurs bambaras et éleveurs peuls, exacerbés par les mouvements jihadistes. Cette évolution des rapports agriculteurs-éleveurs s’observe dans de nombreuses régions du Sahel en particulier en pays haoussa au Niger où ces rapports de complémentaires sont devenus conflictuels.

Les observations et mesures faites par Camilla Toulmin et ses assistants montrent non seulement une extension des cultures au détriment des terres de parcours, mais aussi une extensification de ces cultures et un véritable effondrement des rendements, aussi bien en champ de brousse où, en quarante ans, on est passé de 212 kg de mil par ha (ce qui n’est déjà pas très élevé) à 80 kg, que dans les champs de village où la chute a été encore plus forte, de 1002 kg/ha on est tombé à 112 kg. La baisse de la fertilité des sols est très légitimement invoquée par Camilla Toulmin pour expliquer un tel effondrement, en revanche peu de choses sont dites ou proposées pour y remédier. Or il existe de nombreux moyens pour restaure cette fertilité, moyens qui ne se limitent pas au reverdissement des territoires villageois. C’est ce que j’ai plusieurs fois tenté de plaider, sans grand succès, en affirmant que si ces moyens étaient utilisés ils permettraient de nourrir la population du Sahel. C’est aussi ce que Henk Breman a expérimenté au Mali et défendu dans ses nombreuses publications où il démontre, entre autres, tout l’intérêt de l’emploi raisonné des engrais pour restaurer et entretenir la fertilité des sols au Sahel.

De même, Paul Kleene, dans sa conférence organisée par l’Adac, en janvier 2025, a présenté toute une gamme de moyens et d’interventions techniques permettant d’assurer un développement agricole durable et productif (DADP) des zones de savanes d’Afrique de l’Ouest, tout en soulignant les conditions d’un tel développement que ce soit en matière de crédit, d’aménagement territorial ou de responsabilisation des communautés villageoises. Il rejoint en cela les recommandations formulées par Camilla Toulmin dans la dernière partie de son livre. Une confrontation de leurs deux démarches serait très intéressante, car elles me semblent correspondre aux deux pôles, opposés et complémentaires, du spectre des travaux et recherche des agronomes sur le développement rural en Afrique.

Sur le plan plus théorique, l’analyse des relations entre la croissance démographique et la conduite des cultures dans le village Dlonguébougou relève incontestablement d’une logique de type malthusien, cette croissance s’accompagnant d’une baisse de la fertilité des sols et de l’effondrement des rendements. C’est l’extensification des cultures et la migration temporaire d’une partie de la population qui permettent au système agraire de se maintenir.

On est bien loin de la position d’Ester Boserup qui considère que la croissance démographique est favorable à l’intensification des cultures (ce à quoi fait brièvement allusion Camilla Toulmin en parlant de Machakos au Kenya où Boserup a observé cette relation). Mais si ce type d’évolution agraire n’a pas eu lieu à Dlonguébougou c’est parce qu’entre autres raisons l’espace cultivable n’est pas encore saturé, il reste encore suffisamment de terre de parcours permettant l’extension et l’extensification des cultures. Mais, comme on l’a déjà noté, cette évolution est évidemment défavorable aux éleveurs peuls ce qui peut expliquer l’engagement de certains d’entre eux dans les mouvements jihadistes imposant leur loi aux agriculteurs, comme cela s’est passé à Dlonguébougou.  

Ces quelques observations relatives au livre de Camilla Toulmin sont loin d’en diminuer l’intérêt et d’en épuiser la richesse. Je partage l’avis de Jacque Chantereau pour dire que c’est un ouvrage passionnant et instructif, à conseiller en particulier à tous les étudiants appelés à travailler au développement rural de l’Afrique.  

Philippe Jouve
24 septembre 2025

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