Cette note de J-F. Poulain sur le projet Garoua (PG) reste d'actualité dans le cadre de la gestion de projets. Le projet Garoua visait à améliorer la production des exploitations, à préserver l'environnement et à favoriser l'intégration agriculture-élevage au Nord-Cameroun. Première phase: 1988-1991, seconde phase: 1992-1996. Le Projet bilatéral Garoua se transforma ensuite en projet régional Prasac dont nous vous présentons l'historique, après l'article de JF Poulain (NDLR) 

Réflexions sur les méthodes et les actions du Projet garoua

JFPoulainConçu dans le cadre d'une coopération scientifique bilatérale entre le Cameroun et la France, le Projet Garoua avait pour objectifs principaux :

 d'une part :

 - de mettre en place des infrastructures nécessaires en créant une station agronomique à Garoua,

- d'apporter un appui institutionnel à l'Ira et à l'IRZV dans les trois provinces du Nord-Cameroun.

d'autre part : de conduire des recherches pour le développement en partenariat entre l'Ira, l'IRZV, le Cirad et l'Orstom avec quatre ambitions :

 améliorer durablement la production des exploitants,

 gérer l'environnement et les ressources naturelles renouvelables,

 favoriser les relations de complémentarité entre l'agriculture et l'élevage,

 diversifier la production agricole, en particulier par la transformation.

 Alors que cette pratique est devenue la règle, le Projet Garoua n'a pas fait l'objet d'une évaluation à son terme. On peut s'en étonner, alors que des financements conséquents ont permis de mobiliser pendant huit ans l'ensemble des chercheurs nationaux du Nord-Cameroun en partenariat avec leurs homologues du Cirad et que ses acquis ont permis de bâtir une coopération plus large sous la forme d'un projet régional impliquant les structures nationales de recherche de trois pays de la sous-région et des institutions du Nord.

C'est dire l'importance des actes de l'atelier d'échange qui rassemblent, sans être exhaustif, les principaux « produits » du Projet Garoua.

Avec le recul, certaines méthodes et attitudes constituent des avancées significatives au même titre que les acquis scientifiques et les aides à la décision proposées dans les actes de l'atelier. Elles me semblent avoir été insuffisamment soulignées. Des enseignements pour la conduite de futurs projets méritent également d'être cités.

• La grande variété de milieu du Nord-Cameroun a été prise en compte, exception importante toutefois des Monts Mandara. Les travaux réalisés dans l'Adamaoua sont également demeurés trop modestes.

• Les ressources et contraintes des espaces, mais aussi les valeurs et les volontés des sociétés rurales ont pu ainsi être mieux appréhendées dans leur diversité.

• Les différents niveaux d'organisation de la production, de la région au village, de l'exploitation à la parcelle et au troupeau, ont fait l'objet d'études mettant en relief les interactions entre les échelles auxquelles ils correspondent. Les pas de temps des processus d'évolution de l'économie agricole et rurale ont également été pris en considération par quelques chercheurs.

• Certains ont tenté de faire émerger et affirmer de façon plus ordonnée la fameuse demande sociale mettant ainsi en exergue de nouvelles pistes de recherche-actions : professionnalisation, organisation, formation...et contribuant à donner plus de sens aux idées si généreusement dispensées de durabilité, responsabilisation, démocratisation.
Ces diagnostics ont permis d'approcher et de formuler scientifiquement les questions des acteurs du développement. Les pronostics ont été plus rares, tant il est vrai que les chercheurs ont beaucoup de difficultés à décider et à prévoir avec un risque accepté.

• Important est le fait que quelques chercheurs ont délibérément choisi le milieu réel comme lieu privilégié de leurs activités en mettant les paysans au cœur du processus de recherche pour le développement.
La démarche vers l'utilisateur, quand elle ne s'est pas heurtée à des barrières institutionnelles, a été significative. Au-delà d'un espace de liberté, qu'il importe de préserver pour susciter en permanence leur intérêt et leur motivation, les chercheurs ont bien compris que la société (singulièrement celle représentée par nos bailleurs de fonds) considère la recherche comme un produit ayant une utilité et un coût. L'animation et la programmation concertée de leurs activités ont été acceptées sans réticence. La plupart d'entre eux ont porté une grande attention à la valorisation des acquis.

• Enfin et ce n'est pas le moindre, le projet a permis de mieux appréhender les facteurs propices à un partenariat scientifique et institutionnel entre chercheurs de différentes origines, mais aussi entre chercheurs, acteurs du développement et producteurs.

Les enseignements structurels et organisationnels du Projet Garoua peuvent se décliner ainsi :

• Favoriser une structure simple avec une équipe de coordination légère. Un « Directoire » à trois membres : Chef de projet — Coordinateur scientifique — Gestionnaire — semble être une bonne formule.
• Conduire les activités de recherche dans le cadre de petits projets pluridisciplinaires s'appuyant sur une organisation scientifique permanente : programmes (unités opérationnelles) et unités de recherche (unités thématiques et disciplinaires).
La matrice programme x unité de recherche a souvent fait l'objet de critiques et de rejets. Dans le cas du Projet Garoua , chaque chercheur y a vite trouvé sa place et sa fonction. Les petits projets ont permis d'identifier rapidement les enjeux et la demande sociale, et de fixer les priorités.
D'autres modèles sont sans doute plus judicieux selon les situations. On peut se demander si une programmation idéale n'est pas un leurre, la valeur d'une structure étant liée avant tout à la qualité des hommes qui l'animent.

• Jouer la socialisation, l'information et la transparence à tous les niveaux a plus d'avantages que d'inconvénients. Les décisions « à huis clos » sont toujours suspectes et conflictuelles quand elles sont dévoilées. Il est toujours plus facile d'entraîner des hommes avec leur adhésion.

• Montrer un parti pris délibéré pour l'action : « Faire - Aménager - Expérimenter » en se limitant à ce que l'on sait et peut bien faire avec les ressources humaines et financières disponibles.
Eviter la paralysie par de longues approches analytiques et de multiples réunions dites de « concertation ». Une réunion doit être initiée pour informer ou consulter, mais surtout pour décider ou préparer une décision.

• Savoir se mobiliser autour de quelques valeurs clés. Pour le Projet Garoua, les couples-clés ont été :
 Diversité / Diagnostics
 Diversification / Complémentarité
 Valorisation / Formation
 Ressources / Durabilité

• Les valeurs fondamentales auxquelles tous doivent adhérer avec rigueur n'effacent pas la nécessité de donner aux équipes de recherche une relative autonomie. Cette souplesse favorise l'esprit novateur et encourage la prise de risques. On admettra nécessairement un nombre raisonnable d'erreurs.

• Attacher une très grande importance dans les petits projets à l'amont : l'évaluation de la demande et à l'aval : la valorisation.
Favoriser chaque fois que possible la contractualisation des actions de recherche avec le développement.

• Enfin, et ce constat m'apparaît essentiel, il est évident que le Projet Garoua a induit des charges récurrentes insupportables, et ce d'autant que le Projet régional qui devrait lui succéder (sans doute sous une autre forme) n'est pas encore opérationnel plus de deux ans après son terme ! Il est donc essentiel que les projets s'intègrent et s'appuient sur des formes institutionnelles préexistantes solides capables d'assurer leur pérennité et de progresser même en leur absence.

• Un dernier aspect concerne les chercheurs, techniciens, employés et agents.
L'investissement en biens n'est pas la source fondamentale d'une meilleure efficacité de la structure. Les problèmes de formation des hommes à tous les niveaux demeurent prioritaires et doivent être satisfaits à la faveur des projets.

Il est également évident que l'efficacité du travail ne peut être obtenue sans motivation du personnel et sans respect de l'individu. Les salaires modiques, les interruptions de salaire de longue durée ne peuvent qu'affaiblir un projet et porter préjudice à la qualité des travaux.

J-F. Poulain, Coordinateur Scientifique du PG phaseII (1992-1996)
Représentant du Cirad au Cameroun
 
La suite du Projet garoua (extrait de www.prasac-cemac.org)

L’idée d’une nécessaire régionalisation des recherches est contenue dans les recommandations du comité scientifique du Projet Garoua. Ce projet, qui fut un cadre de collaboration bilatérale entre le Cameroun et la France pour l’appui à la recherche agricole au Nord-Cameroun, avait le mérite de disposer d’un comité scientifique au sein duquel se trouvaient des personnalités scientifiques venues de Centrafrique et du Tchad voisins. Les similitudes de situations qui étaient alors relevées dans les problématiques de développement agricole avaient justifié la recommandation de créer un cadre de synergie scientifique pour un développement solidaire des zones de savane d’Afrique centrale. Il a été convenu de l’appeler : Pôle régional de recherche appliquée au développement des savanes d’Afrique Centrale (PRASAC).

seinyboucar2009Le PRASAC a été initié au sein et avec l’appui du CORAF/WECARD, à l’initiative duquel la déclaration d’engagement des partenaires a été signée en septembre 1997 et la requête du premier financement (1998–2002) présentée à la coopération française.

Par la suite, comme sa démarche, ses activités et ses résultats ont été jugés de nature à contribuer aux objectifs d’intégration régionale en Afrique centrale, le PRASAC a été transformé en Institution spécialisée de l’Union économique de l’Afrique Centrale (UEAC) par la Conférence des Chefs d’Etat de la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique Centrale (CEMAC) tenue en décembre 2000 à N’Djaména (Tchad). Cette reconnaissance fait du PRASAC une institution pérenne, susceptible d’abriter des projets spécifiques à l'échelle de toutes les écologies.

En conclusion, le PRASAC baptisé depuis juin 2008 Pôle régional de recherche appliquée au développement des systèmes agricoles d'Afrique Centrale, est à la fois une Institution de la CEMAC et un outil de coopération scientifique du CORAF/WECARD.


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