Dans sa magnifique encyclopédie-anthologie de 3000 pages qui aurait pu aussi bien s’intituler Evolution de l’agriculture en Afrique subsaharienne, l’agronome-historien-géographe-botaniste-toxicologue-politicien-humaniste-philosophe, alias René Tourte, dans le volume 5 ou peut-être le volume 6, je ne me souviens pas précisément, à propos des ennemis des cultures, cite les oiseaux prédateurs.

Et parmi les moyens de défense fait allusion à l’explosif.
A cheval sur 1955 et 1956, je suis en mission exploratoire sur les cultures de décrue du fleuve Sénégal.
Un peu en aval de Podor, sur la rive gauche sénégalaise, mon soleil est soudain obstrué par un vol virevoltant de plusieurs millions de mange-mil ; ils forment un nuage presque aussi épais et noir que celui des sauterelles. Au passage, je m’en entretiens avec le chef de canton qui déplore amèrement les dégâts, mais se déclare humblement impuissant à les parer.
Mon instinct d’artificier se réveille en sursaut.
- Voulez-vous que je vous en débarrasse ?
- Impossible !
- Pouvez-vous me donner pour une journée une douzaine d’hommes jeunes grimpant aux arbres ?
- Facile !
- Pouvez-vous interdire pour 24 heures les accès amont et aval du dortoir repéré au bord du fleuve ?
- Plus difficile mais faisable !
- A mon signal, vous ferez fonctionner le tam-tam.
Je me rends alors en 4 x 4 à Saint-Louis auprès de notre camarade Renaud qui a succédé au grand Marchal et lui ayant exposé et fait adopter mon projet, je le prie de me fournir quatre caisses de savons à barbe, nitratite plastique, un explosif « soufflant », d’une vitesse de combustion de 4 000 à 4 500 m/s, autant de « cordon Beckford », un explosif rapide « brisant », d’une vitesse d’environ 8 000 m/s.
Il les demande à l’armée à laquelle j’ai montré patte blanche. Je bénéficie en outre d’un puissant détonateur sur batterie.
Le dortoir a 600-700 m de long sur 50-80 m de large ; j’en repère les contours précisément.
J’apprends à ma douzaine de bénévoles à confectionner un paquet de quatre « savons à barbe », soit environ 500 grammes de nitratite, entouré d’un bon nœud de cordon détonant qui transmettra simultanément l’onde de choc, la déflagration, à tout le dispositif. La simultanéité est essentielle car il faut que l’ensemble explose d’un coup en un dixième de seconde. Les paquets de plastic sont alors attachés d’un arbre à l’autre, à une distance d’environ 20 m les uns des autres, reliés par le cordon Beckford. Ils sont disposés en deux lignes aller-retour éloignées d’une vingtaine de mètres. Le dispositif dont je dirige et surveille attentivement la mise en place est relié, à une centaine de mètres de là, au détonateur.
Le travail terminé, les manœuvres retournent au village et le chef de canton interdit toute incursion sur les lieux. A la tombée de la nuit l’immense nuée de Quelea quelea rentre au bercail, en plusieurs vagues très rapprochées… J’attends longuement que s’installe un silence total.
Et… boum !
Derrière le bruit assourdissant de l’explosion, j’entends encore durant environ une, voire deux minutes un bruissement infernal, un grand frou-frou provoqué par les retombées au sol de branches, d’oiseaux et surtout de plumes qui ont volé en éclats à quelques dizaines de mètres de hauteur.
Ayant respecté le délai de sécurité, pour le cas où un explosif aurait fait long feu, je vais aux résultats, muni d’une torche électrique. Je marche dans un grouillant tapis de plumes de 5 à 10 cm d’épaisseur, empli de cadavres d’oiseaux morts ; beaucoup restent inertes, incapables de bouger, leur sac aérien ayant sans doute éclaté ; nombreux sont ceux qui, au sol, sont moribonds ou tentent vraiment de s’éloigner ; certains font des petits sauts ou vols de quelques mètres avant de mourir un peu plus loin. Une proportion « X » aura réchappé.
Ayant vérifié que toutes les charges ont bien explosé, je reprends le gros détonateur, et mon 4 x 4 me ramène au village. Le chef de canton a entendu le bruit d’enfer. Je lui promets de l’emmener au lever du jour pour apprécier les dégâts et lui demande de dissuader toute incursion prématurée sur le site.
Dès l’aube, le lendemain, nous doublons des flopées de phacochères, de singes, de serpents, de charognards de plus en plus nombreux au fur et à mesure que nous arrivons à l’épicentre de la déflagration.
Eux aussi veulent leurs parts du festin ! J’emporte une pleine caisse d’ortolans tout plumés. Quel délice !
Le chef de canton est ravi ; nous quittons bons amis.

Mais le plus drôle est à venir…..
Deux ans plus tard, je promène Marie-Céline dans la région, en 2 CV. Nous sommes accompagnés du tandem M. Catherinet et Y. Durand dans une autre 2 CV. Après avoir contourné le lac de Guiers, nous nous dirigeons vers Podor. En pleine brousse je suis arrêté par un Toucouleur en travers de la piste.
- Bonjour missié Démobile, la reine de Podor veut te voir.
Stupéfaction !
Comment connait-il mon nom ? Comment sait-il que je me trouve dans les parages ?
En fait, sans que nous nous rendions compte, nous avons été repérés par des yeux invisibles, suivis, écoutés par des oreilles ultrasensibles.
Et y aurait-il donc une reine à Podor ?
Effectivement, il y en a une, ou supposée telle, réputée telle, vieille, maigre, décrépie, mais accueillante.
Elle tient à me remercier de mon « coup d’éclat » dont elle a abondamment entendu parler. Elle nous offre quelques boites en aluminium d’une bière ancienne, chaude, imbuvable et fait cadeau d’une petite poule à mon épouse. La poule semble, comme nous, terriblement assoiffée.
Nous nous replions ensuite vers le campement de Richard Toll où nous pourrons boire frais.
Erreur ! Il est envahi d’une foule imprévue… Il y a match de foot ! Le barman refuse de donner un verre d’eau à Marie-Céline, à moins qu’elle ne boive un pastis ce à quoi elle se refuse, précisant toutefois qu’elle paiera le prix d’un pastis pour un simple verre d’eau fraîche. Peine perdue, la consigne est strictement respectée.
Nous quittons alors tous ensemble le campement sans avoir bu.
Au bout d’une bonne demi-heure de recherches, nous trouvons quatre boites en aluminium d’eau d’Evian. Ouf !
Marie-Céline court alors vers la 2 CV pour donner à boire à la poule de la reine.
Rires admiratifs, approbateurs, un tantinet railleurs des trois bonhommes.
Ceci simplement pour vous distraire un moment.

Le Pouget, janvier 2013
Philippe Demombynes


 


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