Claude Charreau se trouvait en famille le 10 juin 2015 lorsqu’il a fait une chute mortelle à Mondoubleau (Loir et Cher), où il est né, en 1928. Après des études d'ingénieur agronome et une licence ès sciences, il a débuté sa carrière dans les services de la recherche agricole de la France d'outre-mer, il fut ensuite intégré à l'Orstom puis, dans les années soixante, à l’Irat.

Expatrié au Sénégal, au CNRA de Bambey, où il a encadré de nombreux chercheurs et stagiaires et s’est forgé une compétence reconnue en physique des sols en zone tropicale sèche. En 1969 et 1970, il a synthétisé cette expérience dans un ouvrage très documenté, écrit avec Robert Nicou, qui a fait autorité, sur l'amélioration des sols dans cette zone. En 1970, il a quitté le Sénégal pour mettre en oeuvre le laboratoire de physique des sols de Nogent jusqu’en 1975. En 1974, il fut accueilli en qualité de visiting professor à l'Université de Cornell durant un an. Sa carrière l’a ensuite conduit à l'Icrisat, institut international créé en 1972, dont il a dirigé le centre régional d’Afrique de l’Ouest de 1975 à 1982. De retour en France, il est nommé directeur de la coordination et des programmes de l'Irat, de 1982 à 1985. A la création du Cirad, il assure, avec Francis Bour, qui dirigeait l’Irat depuis une vingtaine d'années, la translation et la réorganisation des activités de l'Irat vers le Cirad. Il lui succédera ensuite brièvement comme directeur. Scientifique reconnu, soucieux de la formation des jeunes, actif et sportif, Claude Charreau était une personnalité à l'abord très simple et apprécié par ceux qui ont partagé sa vie professionnelle. Directeur de recherche à l'IRD, membre correspondant de l'Académie d'agriculture, il était chevalier de la Légion d'honneur.

 Hommage de René Tourte 

Notre ami Claude Charreau nous a quittés le 10 juin 2015, victime d'une chute après une belle journée passée avec son épouse Suze, ses enfants, ses petits enfants, ses proches dans sa maison de campagne de Mondoubleau (Loir et Cher). Il était né le 7 novembre 1928 dans cette agréable bourgade du Perche vendômois où se mêlent si bien plateaux et vallées, grande cultures, prairies et forêts. Bien que de famille de médecins, Claude a été, dans ce milieu, très tôt attiré par la chose agricole. Après ses études secondaires à Caen et à Paris et ses classes préparatoires au réputé lycée Sainte Geneviève de Versailles, il intègre l'Institut national agronomique de Paris en 1947. L'enseignement des maîtres Joseph Lefèvre, René Dumont, Georges Aubert, et le fort appel de cette époque pour un soutien aux pays de la jeune Union française, lui font, à la sortie de l'Agro, embrasser une carrière outre-mer et entrer en 1949 à l'École supérieure d'application d'agriculture tropicale ("Nogent") dans sa Section recherche agronomique, avec spécialisation pédologie à l'Office de la Recherche scientifique Outre-mer, ORSOM (devenu ORSTOM en 1953) : il sera médecin, non des hommes mais des sols.

Après son service militaire dans l'artillerie (1950-1951), Claude est affecté en Afrique occidentale française comme Chef de travaux de laboratoire des Services scientifiques et techniques de l'agriculture de la France d'Outre-mer. Il est dès son arrivée à Dakar, en 1952, tout naturellement nommé responsable du Bureau des Sols de l'Inspection générale de l'agriculture, dont la prime activité est d'élaborer les méthodes et techniques propres à lutter contre l'érosion et ainsi assurer la conservation de ces sols tropicaux réputés fragiles, dont plusieurs éminents auteurs prédisent même les pires dégradations sous l'effet des éléments naturels mais aussi, et surtout, des mauvaises pratiques de l'homme et de ses machines : "Afrique, Terre qui meurt" vient de crier en 1949 le grand Africaniste Jean-Paul Harroy. Claude œuvre ainsi pendant cinq années, en étroite liaison avec les Services de l'agriculture, des Eaux et Forêts, de l'ORSTOM et à l'échelle de l'Afrique occidentale, à la mise en place de dispositifs d'observation, de mesures et de contrôle de l'érosion en différentes conditions naturelles ou modifiées par l'homme : " parcelles d'érosion", "bassins-versants", etc...

L'étape majeure suivante, celle de la protection et de la bonification de ces sols menacés, Claude l'aborde en 1957 au Centre de recherches agronomiques de Bambey. Le Centre, alors dirigé par François Bouffil, relève de l'Inspection générale de l'agriculture de Dakar et a vocation à intervenir sur l'ensemble des régions sahélo-soudaniennes de l'Afrique occidentale francophone. Aux Indépendances de 1960 Bambey devient cependant Centre national de la recherche agronomique du Sénégal, dont la gestion est confiée à l'Institut de recherches agronomiques tropicales et des cultures vivrières, IRAT, et sa direction à Louis Sauger (dont le signataire était l'adjoint et le directeur scientifique). Dans ce Centre, au demeurant déjà bien équipé, Claude succède au grand agrologue Serge Bouyer et prend en charge l'étude et l'amélioration de ces sols, plus ou moins appauvris ou dégradés par l'exploitation (cultures, élevages, ...). Plus largement, c'est au complexe eau-sol-plante, au milieu pédoclimatique que Claude consacre ses efforts les treize années suivantes, avec son équipe de chercheurs, ingénieurs, techniciens ... qui vont tous se louer de ses hautes compétences, de sa large expérience, de ses qualités de chef et de sa constante urbanité.

Outre quelques prospections et cartographies pédologiques, locales ou régionales, Claude poursuit alors et développe des études fines portant sur la dynamique des eaux et des éléments minéraux dans le sol, grâce notamment à des dispositifs et moyens élaborés du type cases lysimétriques, sondes à neutrons, marqueurs isotopiques, etc... Observations et résultats de ces dispositifs donnent lieu à publications innovantes et remarquables auxquelles sont associés Paul Bonfils, Prosper Vidal, Louis Jacquinot, Jean-François Poulain, Claude Dancette, Dominique Blondel, Pierre Siband, Christian Pieri, Francis Ganry, Mamadou Mara .....

Ces études, qui bénéficient des éminents conseils des professeurs Raymond Chaminade, Stéphane Hénin, Georges Aubert vont permettre une conduite de plus en plus maitrisée de l'amendement et de la fertilisation des sols tropicaux, notamment des savanes. Et plus avant, grâce à des dispositifs expérimentaux pluriannuels, pérennes, Claude va mettre un accent particulier et novateur sur l'étude de l'évolution des sols sous culture dans leurs caractéristiques physiques,
chimiques, hydriques ... et leurs potentialités. En liaison avec les travaux des agronomes, René Tourte, Philippe Gaudefroy-Demombynes, Jean Fauché, Robert Nicou (que Claude va former et associer à ses études sur le profil cultural et la physique des sols), Marc Le Moigne ..., sont alors proposées des techniques de redressement et d'entretien de la fertilité des sols aux pas de temps des rotations et successions culturales.

C'est au cours de cette période sénégalaise que Claude Charreau, des Services de l'agriculture de la France d'Outre-mer, entre temps adoubé licencié es-sciences (botanique, géologie, pétrographie), est intégré en 1960 dans le corps des chercheurs de l'ORSTOM (actuel IRD) comme maître de recherches. L'Office a en effet, en 1953, absorbé la recherche agronomique outre-mer, avant que cette dernière ne soit, en finale, transférée en 1961 à l'IRAT, auprès duquel Claude est détaché jusqu'à la fin de sa carrière. C'est aussi dans ces temps sénégalais qu'il épouse, le 15 novembre 1958, la charmante et fidèle Suze qui lui donnera leurs trois enfants : Isabelle, Jean-Yves et Laurent.

En 1970 Claude, riche d'expérience et d'une exceptionnelle connaissance des sols tropicaux, est rappelé par Francis Bour, directeur général de l'IRAT, au sein des Services et Laboratoires centraux de l'Institut à Nogent sur Marne, ville dans laquelle le couple Charreau établit sa résidence principale. Claude profite de cette première période métropolitaine pour valoriser et publier ses acquis et participer à l'affirmation de la politique agro pédologique de l'IRAT aux côtés de Pierre Roche, Jean Kilian, Roger Bertrand, Jean-Pascal Pichot .... Il effectue en outre moult missions de soutien aux agences ultramarines de l'Institut, multiplie les contacts et participe à de nombreuses rencontres et réunions internationales où ses contributions sont particulièrement remarquées et appréciées. C'est à ce titre qu'il est appelé en 1974 par la prestigieuse Université américaine de Cornell pour y dispenser pendant six mois, en qualité de Visiting Professor et grâce à sa remarquable maîtrise de la langue anglaise, une série de conférences magistrales sur les Sols des régions semi-arides de l'Afrique de l'ouest et leur mise en valeur.

Cette ouverture de Claude Charreau sur l'International le fait alors solliciter par l'Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides, ICRISAT, pour diriger son programme coopératif en Afrique de l'ouest. Ainsi, de 1975 à 1981, Claude basé à Dakar réussit à mettre en place le réseau ICRISAT et ses antennes dans plusieurs pays de l'Ouest africain et à implanter son siège régional définitif à Niamey, Niger, où lui succède en 1982 Maurice Tardieu, également chercheur de l'IRAT. Cette nouvelle période africaine permet à Claude d'affirmer un peu plus ses liens profonds avec cette Afrique qu'il aime et à laquelle il a sans doute consacré le meilleur de sa vie professionnelle et familiale.

Puis sonne le retour définitif en métropole, où Francis Bour confie à Claude le poste stratégique de directeur de la coordination et des programmes de l'IRAT, à la suite de son ami Claude Dumont. Il le charge en fait de la direction scientifique des trois grandes divisions de l'Institut : Agronomie, Amélioration des Plantes, Défense des Cultures. Et en 1985, après la création du Centre de Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, CIRAD, Claude Charreau succède tout naturellement à Francis Bour à la tête du département IRAT de ce nouvel ensemble, remarquable outil de la Coopération française. Sous les directions générales successives de Hervé Bichat et de Henri Carsalade, Claude dirige alors jusqu'à sa retraite ce département qui emploie près de 400 personnes, dont plus de 160 chercheurs et ingénieurs, et qui intervient dans quelque 25 pays. Il y est secondé par des poids lourds de la recherche agronomique tropicale : Jean Brenière, Roger Dadant, Michel Hoarau, Marc Borget, Pierre Baudin, Jean Celton, Jean-Pascal Pichot, Jean Kilian, Guy Rouanet, Dominique Bassereau, Roland Fauconnier, Michel Jacquot, Christian Pieri, Jean-Claude Legoupil ..., à la tête de divisions ou de programmes.

Ainsi, sous la bienveillante autorité de Claude Charreau, le département IRAT du CIRAD étend ses recherches, interventions, expertises, déjà naturellement auprès de ses partenaires africains traditionnels, mais aussi dans plusieurs pays d'Amérique latine et d'Asie du sud-est. Il y appuie des institutions nationales, des réseaux spécifiques, tout en renforçant ses liens avec les organismes européens, nord-américains .... ayant à connaître de la recherche agronomique et du développement rural des pays du Tiers monde. Claude continue d'ailleurs à siéger au Conseil scientifique de l'ICRISAT et à participer à plusieurs "Revues" d'autres Instituts internationaux. Au sein même du CIRAD, par son incontestable notoriété, sa relation agréable, son écoute attentive des autres, son humanisme Claude Charreau contribue fortement au rapprochement, à l'harmonie des différents départements et de leurs personnels, tous issus d'Instituts dont les objectifs et démarches n'étaient pas à l'origine nécessairement compatibles.

Les meilleures choses ayant toutefois une fin, Claude peut le 1er juillet 1991 faire valoir ses droits à la retraite. Il transmet en confiance le flambeau à Didier Picard, au passé d'agronome tropical et tempéré déjà très éloquent. Dans les mêmes temps, le département IRAT devient CA (cultures annuelles) regroupant ainsi, outre les cultures vivrières (céréales, tubercules ...), l'ensemble des cultures de ce type traitées par le CIRAD, notamment textiles et oléagineuses.

Pour ses éminents services, Claude avait dans son corps de l'ORSTOM accédé en 1983 au grade d'Inspecteur général de recherches. La France l'avait fait Chevalier de la Légion d'Honneur en 1990, le Sénégal Chevalier du Mérite national en 1970. Il était aussi Correspondant de l'Académie d'agriculture de France, médaillé d'Or de l'Académie en 1971.

Cher Claude, tu avais largement mérité ces distinctions, ces honneurs. Tous tes amis de la grande famille de la recherche agronomique française et internationale savent quelle insigne contribution à sa noble cause a été la tienne et quelle cruelle perte cause ton départ. Tous partagent bien sûr l'immense peine qui touche si durement ton épouse, tes enfants et petits enfants, tous tes proches, auxquels nous présentons nos condoléances les plus émues. Et tous, nous nous associons au beau quatrain que tu as inspiré à l'un de tes plus fidèles collaborateurs et ami, le pédologue-poète Roger Bertrand :

"Quand le bateau s'en va, dépasse l'horizon
Il nous reste à jamais l'écume du sillage.
Et le ressac qui bat comme un cœur sur la plage
Redit les mots d'amour de notre floraison ....."

Adieu Claude et, comme le disent de si émouvante façon nos amis africains : "que la terre te soit légère", cette terre de France à laquelle tu avais su attacher tant de souvenirs des terres du Sud.

Montpellier, le 27 juin 2015

René Tourte


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