Réponse de Jean-François Poulain aux allocutions
de Monsieur l'ambassadeur de France au Cameroun
et de Monsieur le ministre de la Recherche scientifique et technique
du Cameroun

Cérémonies de départ
Hôtel Central, Yaoundé le 18 décembre 1998

Ce ne serait pas vrai si je disais que départ et le terme de mes fonctions au Cirad me laissent indifférent. On ne peut pas quitter l'Afrique après 40 ans d'activités diverses et intenses, et après un séjour au Cameroun d'une si grande richesse, sans émotion.

 Permettez-moi de vous faire part très brièvement des sentiments que je ressens :
- D'abord un sentiment de gratitude envers ceux qui, individuellement ou collectivement m'ont aidé à accomplir mes tâches. Ils sont maintenant, pour la plupart d'entre eux, des amis. Mais aussi des vœux d'indulgence par ceux ou celles qui ont subi mes excès, ceux ou celles que je n'ai pas su comprendre ou envers qui mes facultés de tolérance ont été déficientes. Je leur présente ici mes excuses si cela a pu apparaître comme un manque de respect à leur égard.
Gratitude parce qu’avoir contribué à piloter un projet original et novateur tel que le Projet Garoua qui comptait plus de 50 chercheurs en partenariat, puis avoir tenté d'animer et d'appuyer 40 chercheurs du Cirad répartis dans l'ensemble du pays, ces deux équipes rassemblant des hommes et des femmes, pour la plupart de grande qualité, est une très belle récompense dans la carrière d'un chercheur.
Avoir essayé.... « Il y a quelque chose de pire que de ne pas réussir... c'est de n'avoir pas essayé ». Avoir essayé, dis-je, de développer avec l'aide de tous, un travail d'équipe pour des actions essentielles au profit du développement est une tâche tout à fait exaltante.
- En second lieu, un sentiment de sérénité, ce qui peut paraître paradoxal, alors que beaucoup de difficultés et de contraintes subsistent... et ne pourront se résoudre que dans le temps. La recherche agronomique est une œuvre de paix où le génie créateur de l'homme s'exerce comme le disait Buffon par la pratique d'une longue patience.

Arrivé au Sénégal en 1960, je peux avec le recul témoigner des changements importants qui sont intervenus au profit du monde rural depuis 40 ans. Sans doute, les progrès sont très inégaux et la marge d'amélioration possible demeure considérable. Sans doute, n'avons-nous pas résolu les moyens de transférer nos connaissances et nos produits dans les pratiques des paysans. Ce problème de la liaison entre recherche et développement est un des problèmes les plus difficiles qui soit. Il n'est pas nouveau. On trouve dans l'Encyclopédie cette phrase de Voltaire « On écrivit des choses utiles sur l'agriculture. Tout le monde les lut, excepté les laboureurs ». Des avancées significatives ont été obtenues ces dernières années avec une prise en compte plus stricte de la demande sociale. Mais il faut affirmer très fort que l'appropriation des innovations par le monde rural doit s'inscrire dans une stratégie globale de développement, s'accompagner d'appui organisationnel solide et d'une politique agricole vigoureuse de protection raisonnée des marchés et de subventions sélectives d'équipements.

Voilà huit fois dans ma carrière d'agronome tropical que je change d'affectation, de fonction, de nature de travail. Je voudrais dire combien je ressens après cet épisode camerounais, et encore plus qu'auparavant, l'importance de notre mission. Loin de moi l'idée « d'entrer dans l'avenir à reculons » comme le disait Paul Valéry. Mais je ne crois pas que ce sont les créateurs et les virtuoses de données scientifiques et d'outils révolutionnaires qui soient à même de remplir la mission dévolue à la recherche agronomique tropicale. Notre mission est de résoudre des problèmes techniques relevant de la production et de la transformation des produits agricoles dans le respect des hommes, de l'environnement et des lois de l'économie de marché.

Il importe avant tout d'aider nos partenaires à produire mieux, à produire pour moins acheter, à produire pour mieux vendre, à produire avec moins de pertes et davantage de valeur ajoutée, enfin à produire avec des modèles très diversifiés. Pour ce faire, l'agronome doit assimiler, réunir et synthétiser nombre de données essentielles pour les intégrer à la pratique et gérer des systèmes complexes avec l'idée que le maximum technique n'est pas forcément l'optimum économique et que les apparents succès du présent peuvent obérer les potentialités de l'avenir si l'on ne protège pas les ressources naturelles. Vous avez, Monsieur l'Ambassadeur, retracé avec beaucoup de bienveillance et d'indulgence ma longue carrière tropicale. Je vous en remercie très vivement. Mais je voudrais, sans fausse modestie, modérer ces mérites pour plusieurs raisons :
- En premier lieu, j'ai pu choisir en toute indépendance ce beau métier d'agronome et de gestion du vivant. J'ai pu ensuite l'exercer avec une grande liberté en sachant que rien ne peut être imposé dans la durée à des hommes sans leur adhésion. Il y a peu de métier, me semble-t-il, où l'on peut à la fois réaliser un travail technique et scientifique rigoureux, contribuer à accroître les connaissances et savoir que l'on œuvre pour le bien-être des hommes. J'ai eu cette grande chance.
- En deuxième lieu, j'ai eu tout au long de ma carrière, malgré un petit incident de parcours lors de mon séjour à Garoua, une santé de fer.
Tous ceux qui ont travaillé avec moi peuvent en témoigner. Cela a même été agaçant pour certains. En dernier lieu, et pour conclure, j'ai toujours tenté de comprendre et d'aimer, et ce, sans complaisance coupable ou laxisme, les gens avec qui j'ai été appelé à travailler. Cela m'a permis, je crois, de ne pas me prendre trop au sérieux, ce qui n'est pas incompatible avec un travail sérieux, et de cultiver le goût du bonheur.

Pour ceux qui s'inquièteraient charitablement de mon avenir – on a toujours un avenir même à 66 ans – je leur dirai simplement que je sais que la vie c'est comme une bicyclette, quand on arrête de pédaler on tombe... et que je n'ai pas envie de tomber !


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