À ses frères et sœurs de Montpellier

Quelquefois, sur le terrain, l’agent du Cirad connaît des instants de doute
et essuie de sérieux coups de cafard.
Dans ces moments là, prosterné et la face tournée vers Agropolis,
il récite la prière suivante !  

Mais qu’est ce que je fais ici,
Loin de mon pays, de ma famille, de mes amis ?
Suis-je au moins en quelque chose utile,
Mon existence ici ne serait-elle pas futile ?

Ils sont pourtant nombreux, ceux qui m’envient
Pour le pays lointain et mystérieux où je vis.
Ceux là s’imaginent sans raison
Qu’il fait beau ici, en toute saison.

Il est vrai que c’est le temps qu’il fait
Quand les experts en mission viennent nous visiter.
Les mêmes nous jalousent pour nos belles maisons
Et nous attribuent du personnel par légions…

Certes, nous avons quelques gros avantages,
Pour lesquels nous donnons de nombreux gages.
Sur le plan de la vie quotidienne, tout d’abord,
Insécurité, danger, maladie, solitude et inconfort,
Peu ou pas de téléphone, de route, d’école, d’hôpital,
Approvisionnement hasardeux, le moindre bobo peut être fatal.

Au niveau professionnel, ensuite, c’est la grande frustration
Que génère globalement, le travail en coopération
Avec ses contraintes et quotidiennes vexations
Et, surtout du partenaire, le légitime manque de motivation.

Sans parler de ces coups que nous recevons
Quand, emportés par l’élan de notre action,
De notre engagement au service du développement
Nous contrarions les intérêts des puissants.

Et s’agissant de l’aspect scientifique,
Au-delà de la faiblesse tragique des moyens
C’est l’isolement, grand, total, magnifique.
Difficile d’avoir d’un collègue, d’un ami, le soutien.

Et que dire, enfin, du prix que souvent nous payons,
Au plan personnel, affectif et familial
Quand l’amour de notre métier se fait aveugle passion,
Et qu’à nos proches, sans le voir, nous faisons mal.

Mais tout cela, librement, je l’ai choisi,
Ce métier fabuleux, ces lointains pays,
Ces difficultés, ces contraintes, je les ai voulues,
Même si, souvent, il m’arrive de me sentir perdu.

Oui, c’est là, avec ces hommes et leurs misères, dans ce milieu,
Que mon tempérament peut s’exprimer le mieux,
Que ces potentialités énormes qui, ailleurs, dorment en moi
Se libèrent enfin, dans une vaste gerbe de foi.

Mais qu’est-ce que je fais ici,
Loin de mon pays, de ma famille, de mes amis ?
Suis-je au moins en quelque chose utile ?
Mon existence ici ne serait-elle pas futile ?

Car en vérité, il ne serait pire souffrance,
Pour moi, oui, que votre indifférence.
Je vous en prie, ôtez-moi ce doute affreux,
Dites-moi que ce que je fais vous intéresse un peu

Jean-Louis Reboul


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