Après avoir vécu de mon refuge campagnard la période du débarquement, j’étais rentré à Paris pour en vivre de près sa libération car ma famille habitait alors un appartement donnant sur le Luxembourg qui abritait l’état-major de la Luftwaffe. Comme beaucoup de jeunes de ma génération, j’étais devenu « fana-mili » et prêt à rejoindre nos glorieuses FFL et sa 2ème  DB.

Revenu trop tard, je n’ai pas eu le pot de Giscard[i] et me suis contenté de reprendre le chemin du Baz-Grand[ii] pour y retrouver ma « fume » désertée par la plupart de mes camarades de 43, reçus en masse au concours de rattrapage de septembre 44. Reçu à mon tour à l’Agro en 45, je découvris qu’à l’époque toutes les grandes écoles étaient astreintes[iii] à faire suivre à leurs élèves une préparation d'E.O.R. (élèves officiers de réserve). La guerre venait de s'achever et il n'était pas question de s'y soustraire, faute de mieux ! L'Agro dont l'encadrement et la discipline étaient encore assurés par des officiers  retraités ou invalides de la guerre  de 14-18 (un  commandant en 1ère année," le mandant", et un colonel en 2ème, le "colon") nous y fit donc suivre cette formation sauf, bien entendu, ceux qui, sortant de l’épreuve guerrière à différents titres, n’en avaient plus ou le besoin ou l’envie. Ces exceptions étaient des camarades reçus à des concours antérieurs qui venaient reprendre leurs études après quelques années passées dans les FFL, les FFI ou qui n’avaient pas échappé au STO ou même pour certains à la déportation... L’un de ces dispensés, grande gueule de nature, reçu en 39, arriva en grand arroi dans l’amphi lors des premiers cours, en tenue militaire avec ses 4 galons de commandant. Inutile de vous expliquer la vie que lui et quelques copains de même acabit firent mener au Mandant et au Colon !

Nous autres, les jeunes, issus du concours « normal », nous étions tous partants et enthousiastes pour cette prépa d’un nouveau genre, sans les quelques inévitables « tire-au-flanc ». Je ne sais  plus comment et par qui cette formation avait été organisée mais nos instructeurs étaient des sous-officiers de la deuxième DB  en partie cantonnée dans la caserne de Rambouillet.

Nous y allions donc et, s'agissant de l'Infanterie, je passe sur les interminables exercices de marche au pas cadencé ou l'on se trompait régulièrement de pied, de "garde-à-vous - repos" et autres "présentez-armes". Mais j'ai encore en mémoire nos reptations dans la forêt "couché, à genoux, debout" etc…. équipés selon les cas de fusils ou de grenades de toutes origines car récupérées comme prises de guerre. Les grenades, toutes désamorcées,  étaient soit des "offensives" de l'armée française d'avant 1939, soit des  grenades à manche allemandes. Les fusils étaient distribués au petit bonheur et pouvaient être français (Lebel), allemands (Mauser) ou même russes.  Les cartouches correspondantes étaient données en même temps mais par lots de 10 ou 12. Les exercices longs et fastidieux commençaient  par la manipulation, la prise en main, l'épaulement  et l'armement,  rendus complexes par la différence entre les fusils qui nous étaient confiés. Nous tirions à balles réelles mais en stand de tir. Nous en sortions à moitié sourds et avec l'épaule endolorie par le recul du fusil mal épaulé.

Pour l'Artillerie, çà se passait dans les fossés du fort de Vincennes et l'exercice y était folklorique et rigolo. Je n'ai du tirer au canon que 2 ou 3 fois  car nous ne disposions que d'un vieux 75 français bricolé que l'on chargeait  avec des obus en bois réutilisables et tant bien que mal réutilisés. Pas de but précis à viser et une portée de 50 mètres! Je n'en ai jamais parlé à l’un de mes oncles, officier d'artillerie en 39-40, qui m’aurait ri au nez. Mes souvenirs tangibles d’artilleur ne sont finalement que les jumelles et la lunette de visée de mon oncle.

Enfin le Parachutisme ! Nous apprenions à sauter de plus en plus haut depuis la tour à parachute mais … sans parachute et retenus par une corde. C'était une sorte de saut à l'élastique avant la lettre. Nos instructeurs nous promettaient toujours un vrai saut en avion avec un vrai parachute mais nous n'avons jamais rien vu venir! C'était leur astuce pour encourager les trouillards à sauter.

Je n'ai rien à dire sur le Génie, car nous n'y avons pas été initiés alors que plusieurs camarades allaient faire une carrière dans le Génie…. Rural !

Cette héroïque aventure s'acheva subitement à mon grand regret le jour où le Gouvernement décida que la classe 1945 serait dispensée de service militaire. Mais, nous apprîmes par la suite qu'il nous serait cependant possible de faire, ultérieurement et sur demande, un service militaire accéléré d'une durée de deux mois.

 C’est pourquoi, trois ans plus tard,  mon ami Sébastien Bazan[iv] et moi, arrivés depuis peu au Cameroun et déjà désireux d'élargir notre horizon pour échapper un temps à la pesante tutelle de notre chef de service, résolurent de faire jouer en notre faveur cette disposition. Ayant appris que la base militaire la plus proche était à Bouar en Oubangui (Centrafrique actuellement) nous nous payâmes de culot et allâmes voir le colonel Layec, Commandant Supérieur des Forces de Police Françaises au Cameroun (pays sous mandat de l'O.N.U) pour poser notre candidature à ce fameux service militaire accéléré.

Nous en revînmes « la queue basse », éconduits par ce brave Colonel qui nous avait dit péremptoirement que nous étions plus utiles au rayonnement français à nos postes actuels qu'en allant nous préparer à la défense de la Nation qui sortait de la guerre et n'aspirait qu'à la paix.

Nos relations avec l’armée s’arrêtèrent donc là jusqu’au jour où mon épouse, ayant fait son trou dans le milieu "mondain" de l'administration coloniale, fut entrainée dans un bridge tournant dont faisait partie la femme du colonel. Se déplaçant d'une case à l'autre, ce mini-tournoi eut lieu un jour chez nous. Arrivant à la maison, cette dame parut étonnée et dit à ma femme : "Mais, Madame, comment se fait-il que vous ayez une si grande case et un aussi beau mobilier, compte tenu du grade de votre mari ?".  Il fallut lui expliquer que par la bienveillante attention du directeur du personnel, il nous avait été attribué le seul logement disponible pour un couple avec enfant dans la pénurie de l’époque qui était la case - et son mobilier - du directeur adjoint des Finances qui venait de partir en congé. Elle avait cependant été amputée au préalable d'un studio pour y loger une des secrétaires du Haut-Commissaire. Inutile de préciser que cette remarque impudente n’améliora pas nos relations avec les militaires !

Bernard SIMON, militaire déçu

Versailles, mars 2015

[i] Giscard d’Estaing était à Paris au moment de la Libération (élève à Polytechnique) et a pu s'engager dans la 2ème DB qui avait recruté à son passage à Paris pour compléter ses effectifs. Il a eu le coup de chance de pouvoir le faire.

[ii]Nom donné au lycée Louis-le Grand en argot d’étudiant. Le lycée Saint Louis était le Baz-Louis (Baz pour « bahut »), le lycée Henri IV était surnommé H4 (prononcer « achequatre »).

[iii] La préparation militaire EOR était obligatoire depuis longtemps dans les grandes écoles (peut-être depuis la fin de la grande guerre) car le cousin de mon père Agro 1919 et GR l’avait faite.

[iv] Familièrement appelé « Séssé », camarade de promo agro et ESAAT. Catalan jovial et dynamique, il a créé au Cameroun le service de la protection des végétaux qui n’existait pas avant et en fit un instrument aussi efficace pour les végétaux que le S.H.M.P. (service d’hygiène mobile et de prophylaxie) pour les hommes. Le SHMP nous inondait régulièrement de DDT puis d’HCH et nous interdisait la culture des aroïdées ou du Ravenala dans nos jardins car considérés comme gites à moustiques. Il était efficace car si j’ai attrapé du palu en brousse, ma famille a été épargnée. Lire « Hommage à Sébastien Bazan (1924-1980) »


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