Qui donc était cet homme dont nous ne savons presque rien alors qu’il a joué un rôle éminent dans la création et les orientations scientifiques de deux des instituts qui se réunirent pour constituer le Gerdat, puis se fondirent dans le Cirad. Cet agronome belge était ancien élève de la Faculté des sciences agronomiques de Gembloux (promotion 1919).

Mais les archives de cette faculté, très honorablement connue, sont si mal tenues qu’il a été impossible d’en obtenir le moindre renseignement sur cet ancien élève pourtant très apprécié des milieux agronomiques de son époque et on ignore jusqu’aux lieux et dates de sa naissance et de sa mort.

Pourtant Maurice Ferrand a joué un rôle de premier plan dans le démarrage de l’Irca et surtout de l’Irho. A partir des quelques renseignements glanés à droite et à gauche, il est possible cependant de retracer, avec retard, les grandes lignes de sa vie professionnelle.

A sa sortie de Gembloux, Ferrand est parti pour les Indes néerlandaises – qui ne se nommaient pas encore Indonésie – pour le compte de la Financière des caoutchoucs (Socfin) comme assistant dans une plantation du Nord-Sumatra où il put commencer des travaux de sélection sur le palmier à huile et l’hévéa. Il quitta l’Extrême-Orient avant-guerre, à une date indéterminée, pour rejoindre l’Afrique au Congo belge où il fit carrière à l’Ineac jusqu’à la fin des hostilités. Il y occupait alors les fonctions de Directeur de la division caoutchouc à la station centrale de Yangambi.
Peu avant-guerre, il publia le fruit de son expérience du caoutchouc dans un ouvrage qui fit longtemps autorité : Phytotechnie de l’hévéa. Botanique. Amélioration. Culture et exploitation. Ce livre fondamental ne fut connu en France qu’après 1945 et fit l’objet en 1948 d’une présentation très élogieuse à l’Académie des sciences coloniales par le professeur Auguste Chevalier. Ce fut, à notre connaissance, le premier traité d’hévéaculture de langue française et il en resta le seul jusqu’au début des années 60 quand parut l’ouvrage de J.G. Bouychou Manuel du planteur d’hévéa.
De retour définitif du Congo, M. Ferrand s’installa en France et aurait alors fait bénéficier de son expérience le tout jeune Institut français du caoutchouc, pour son organisation et la définition de son programme de recherches proprement agronomiques, au sein de commissions de travail.
Son rôle fut beaucoup plus important à l’Irho, créé dès 1941 mais qui ne fonctionna réellement qu’à partir de fin 1942. La création de cet institut fut en effet l’œuvre de Robert Michaux qui en resta l’âme et le premier président jusqu’à sa mort en 1962. R. Michaux avait été lui-même, entre les deux guerres, planteur en Malaisie pour la SocFin et avait bien connu Maurice Ferrand. Resté très actif et très influent auprès du gouvernement de Vichy, il était, à l’époque, président de la Confédération des producteurs agricoles d’outre-mer (c’est à dire des grandes sociétés de plantations industrielles d’Extrême-Orient), administrateur de la SocFin, des Terres Rouges et du groupe Rivaud… et on en passe ! On peut difficilement imaginer de nos jours quelles étaient l’importance économique et l’influence politique de ces grands holdings, plus financiers qu’agricoles, et de leur représentant, sinon le plus puissant, du moins le plus en lumière.
Ses relations lui donnaient pouvoirs et moyens et il voulut monter « son » institut en s’inspirant des exemples de réussites qu’il avait connus en Extrême-Orient : instituts de recherches de Malaisie et des Indes néerlandaises, Institut de recherches sur le caoutchouc en Indochine. Il n’est donc pas étonnant que Michaux ait fait appel à Ferrand pour le lancement de l’Irho et en ait fait le premier responsable de la division des recherches agronomiques de cet organisme naissant qui ne comptait encore qu’une douzaine d’employés rassemblés dans un petit hôtel particulier du square Pétrarque (Paris 16e)
C’est lui qui réalisa, de 1950 à 1954, avec Michaux, « l’expérience internationale » associant dans un même programme de sélection les trois stations de La Mé, Pobé et Sibiti, l’Ineac de Yangambi et les plantations SocFin de Malaisie. Autour de 1960, il laissa la direction des recherches agronomiques à Pierre Prévôt (voir note) mais en resta le conseiller.
Maurice Ferrand a terminé sa carrière professionnelle et sa vie en France.
René Tourte qui a eu le privilège de l'avoir comme conférencier à l'Esaat, notamment sur les techniques de défrichement et de plantation du palmier à huile, le jugeait très intéressant et aimable. Il était chauve façon tonsure et lorsqu'il projetait des diapos (du reste excellentes) une partie allait sur l'écran, l'autre sur son crâne dégarni. Bernard Simon l’a eu aussi l’année suivante mais n’en a rien retenu car moins attentif que Tourte !
Les plus anciens de l’Irho, tous décédés actuellement, interrogés en 1992, s’accordaient à dire qu’il savait écouter les jeunes, les aider et les conseiller très utilement. Et pour terminer sur une anecdote, des sources qui furent proches de lui à cette époque, ont souligné sa grande culture, ses connaissances en archéologie mais aussi en… œnologie !
En conclusion, et pour éclaircir le débat sur la filiation scientifique de l’Irho, on peut avancer qu’elle provient, d’une part d’Anthony Houard, ingénieur agronome (Paris) et Inspecteur général de l’ agriculture outre-mer qui créa les stations de recherches de La Mé et de Pobé en 1923 à l’initiative de Yves Henry qui avait fixé les premières normes de sélection du palmier à huile alors qu’on ne connaissait pas encore la disjonction variétale entre dura et pisifera et l’existence de leur hybride tenera. Houard fut à l’origine du premier critère de sélection des palmiers (en poids sec : 60 % de pulpe, 20 % d’amande, 20 % de coque dans les fruits). Ce critère fut abandonné par l’Irho dès 1946-1947 au profit d’une recherche de variabilité génétique beaucoup plus large car les Belges avaient effectivement démontré, en 1938, la nature hybride des tenera.
Elle est redevable, en second lieu, à Maurice Ferrand qui mit en route le programme de recherches de l’institut, en partant des travaux de Houard et en les modernisant à la lumière de la génétique moderne encore balbutiante (cf. Francis Bœuf), enfin à André Rancoule, ingénieur agronome (Montpellier) et inspecteur général de l’agriculture outre-mer qui dirigeait la station de Pobé et l’avait organisée de main de maître lorsqu’elle fut cédée à l’Irho en 1942. Détaché à l’institut, il en devint le directeur délégué pour l’Afrique et le demeura jusqu’à sa retraite.

Reprise actualisée d’une note ancienne
Bernard SIMON et René TOURTE
Décembre 2014

Note
Pierre Prévot. Cet excellent physiologiste belge, arrivé à Bambey, en 1949 a permis, grâce à sa diplomatie et sa gentillesse, l’installation d’une section « arachide » de l’Irho à Bambey. Elle sera renforcée en 1951 par Pierre Gillier et Albert Orgias, dont les travaux portèrent sur la nutrition minérale, le diagnostic foliaire, la résistance à la sécheresse, etc.

Sources d’information
L'Institut de recherches sur le caoutchouc 1936-1984, R. de Padirac, collection Autrefois l’agronomie, Cirad
L'Institut de recherches pour les huiles et oléagineux, 1942-1984, C. Surre, collection Autrefois l’agronomie, Cirad
Souvenirs de Michel Ollagnier, André Bachy et René Tourte, informations de Jacques Deuse


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