Yaoundé, le 13 décembre 2003

Imaginez-vous Thomas, père du petit Paul de 2 ans, venant accueillir le vendredi soir 12 décembre, à l'aéroport de Yaoundé, la grand-mère du petit et néanmoins sa belle-mère préférée. Cette chère dame vient découvrir le Cameroun et passer les fêtes de Noël avec sa fille Marine, son gendre et son petit-fils. Thomas qui est arrivé au Cameroun un mois après moi, en mars 2003, est assistant technique du ministère des Affaires étrangères, comme moi, et conseiller à l'Irad Nkolbisson, comme moi. Marine est au Cirad, mais en mission depuis plus de 15 jours au Sénégal, Mali et Burkina : elle ne rentrera au Cameroun que le 15 décembre. Nos deux familles s'entendent très bien.

A la même heure, Monique et moi vaquons à quelque occupation dans notre appartement : c'est sans doute l'heure de la bière pour nous deux, de la préparation du dîner pour Monique…
Ça y est le décor est planté et vous avez bien saisi pourquoi Thomas est seul à l'aéroport pour accueillir belle-maman, Paul étant resté à la maison avec sa Doudou adorée.
Appel téléphonique peu avant 19 h : c'est Thomas… Il me dit être à l'aéroport mais aussi dans de beaux draps car sa belle-mère est arrivée sans visa d'entrée au Cameroun ! Comme je m’étonne de cet oubli des plus regrettables, il me répond qu'elle était déjà venue les voir quand ils étaient au Sénégal ces années dernières, et que là-bas le visa s'obtient facilement sur place à l'aéroport, en arrivant.
Peut-être mais à Yaoundé c'est une autre paire de manches, et les préposés à la police des frontières n'ont qu’une solution expéditive à proposer : refouler la dame, indésirable, par le premier avion, c'est-à-dire celui-là même qu'elle vient de quitter et qui repart à 23 h. Thomas me demande donc, le bec enfariné, si à tout hasard je ne connaîtrais par quelque personne influente capable de démêler cet écheveau ? Non, pas spécialement, surtout éberlué qu'il s'adresse à moi, vraiment la dernière personne capable de régler ce genre de problème, mais je vais réfléchir, lui dis-je, et je te rappelle dès que je peux…
J'ai d'abord téléphoné au directeur régional du Cirad qui ne m'a proposé aucune solution valable. Peu de temps après, Monique a pensé à un locataire – français d'origine italienne – de notre immeuble, au Cameroun depuis 25 ans, dans les affaires (bâtiment, etc.). Il devait être près de 20 h quand je l'ai contacté sur son portable. Marcel venait d'arriver au restaurant avec sa femme et sans doute des amis, ce qui, a priori, ne facilitait pas les choses… Un peu gêné de le déranger dans ses préparatifs d'agapes – mais après tout, s'il veut être tranquille, il n'a qu'à le débrancher ou le laisser à la maison, son portable – je lui raconte ma petite affaire. Je vais essayer de voir ce que je peux faire, me dit-il. Il faudrait savoir quel est le nom du responsable de la police en service à l'aéroport ?
Nouveau coup de téléphone à Thomas : ce doit être M. Atanga, me dit-il. Il n'est pas ici actuellement mais il devrait arriver… Après une bonne heure d'échanges téléphoniques triangulaires, moi étant le « poste central », Marcel me dit qu'il a contacté le directeur de la Sûreté française qui ne peut rien faire…, le directeur de l'aéroport et aussi le directeur de la Police judiciaire, lui-même parti en week-end à 400 km de Yaoundé, en pays bamiléké. J'étais sidéré par l'efficacité de Marcel, capable avec son portable, de remuer ciel et terre camerounaise, et de toucher des personnalités influentes aux quatre coins du pays !
Vers 21 h 15, appel désespéré d'Thomas : ça y est, ils ont emmené ma belle-mère à l'enregistrement pour la fourrer dans l'avion sans plus tarder. Je l'entendais râler la vieille dame (peut-être plus jeune que moi d'ailleurs !) : « Mais laissez-moi au moins sortir les cadeaux pour mes enfants, je ne vais tout de même pas les remporter en France…! ». J'ai dit à Thomas qu'il l'aide à faire le tri sélectif des cadeaux « le plus lentement possible », ce sera toujours ça de pris sur l'ennemi puisqu'elle n'est pas spécialement pressée de regagner ses pénates…
Un quart d’heure plus tard Marcel me dit que ça devrait marcher, le dispositif est bouclé mais il faut lui donner le nom de ma belle-mère ainsi que celui du policier qui fait du zèle. C'est alors que je me suis rendu compte qu'il croyait depuis le début qu'il s'agissait de « ma » belle-mère dont je connaissais le nom mais pas le prénom… Nouveau coup de téléphone à Thomas qui me livre le tout : Marie-Noëlle B. et M. Nkodo.
Quelques instants plus tard, qui nous ont paru des siècles, coup de théâtre ! Thomas m'apprend que le processus d'enregistrement est interrompu, et que belle-maman et lui ont été invités à refluer vers le poste de police de l'aéroport. C'est donc bon signe en principe. Vers 21 h 45, encore un coup de téléphone de Thomas : ça y est nous sommes sortis de l'aéroport avec un visa en bonne et due forme… Génial ! lui ai-je lancé.
Vers 22 h, j'entendais rentrer Marcel et sa femme d'un dîner aux petits oignons : je ne sais pas s'ils étaient avec des amis mais au moins la conversation avait dû être toute trouvée…

Quelques leçons à en tirer :
- Il y a les charters en France pour renvoyer les sans-papiers, il est normal que la réciprocité soit appliquée en Afrique.
- Cependant si vous avez des problèmes de visa dans quelque pays que ce soit, n'hésitez pas, faites appel à Monique, elle vous arrangera ça…
- L'affaire n'est pas finie pour Thomas car il va lui falloir « remercier », de façon sonnante et trébuchante, tout un chacun ayant participé à ce détournement de l'esprit des lois.
- Thomas m'a dit qu'il ne parlerait pas de cette histoire de « remerciements » à sa belle-mère qui a été suffisamment stressée par cette soirée rocambolesque. Il n'en reste pas moins qu'une belle-mère ça peut vous coûter très cher au Cameroun : avant on entretenait une danseuse, maintenant place aux belles-mères !!!
- Vous comprendrez pourquoi nous n'avons pas de télé : passer trois heures comme celles-là, ça vaut tous les films policiers du monde… Le suspens est garanti jusqu'au bout, et on a même du mal à s'endormir après.
- Le téléphone portable c'est génial pour régler quelques problèmes délicats mais il peut aussi vous couper l'appétit…
- Un grand merci à Marcel qui a été super d'efficacité et de gentillesse.

Yaoundé, le 20 décembre

Suite du feuilleton…
Au cours des jours suivants, il fallait que Thomas entre en contact rapidement avec Marcel pour régler la question des « remerciements ». Une fois de plus, j'ai servi d'intermédiaire et ai rencontré Marcel que j'ai remercié chaudement de vive voix pour tout le mal qu'il s'était donné. Il m'a précisé que Thomas devait prévoir trois bouteilles de champagne pour le ministre des Transports (lui aussi avait été contacté) et trois autres pour le directeur de la PJ : il vaut mieux éviter de donner de l'argent à ce genre de personnalités, c'est juste pour marquer le coup… J'en profite pour les convier à un pot pour le jeudi suivant avec Thomas, Marine rentrée de sa mission et belle-maman pour une présentation officielle de cette dernière ! Celle-ci, pour mettre tous les atouts de son côté, est arrivée avec un magnum de champagne à l'intention de Marcel.
Nous avons eu droit à quelques détails supplémentaires au cours du pot très animé.

   Coté Marcel
Il avait à sa disposition, au restaurant, son téléphone portable avec un formidable répertoire d’adresses… Ça aide évidemment !
Il connaissait M. Atanga qui est le responsable de la police des frontières à l'aéroport, mais ce soir-là il n'était pas de service. Comme ce dernier ne s'entend pas avec son adjoint (sans doute ce M. Nkodo) il ne se sentait pas à l'aise pour lui imposer un assouplissement irrégulier des règles. C'est pourquoi il a demandé à Marcel de joindre le ministre des Transports qui lui a gentiment fait remarquer qu'en France la rigidité actuelle dans ce genre de circonstances ne laissait pas de place à de tels arrangements. Mais le ministre a joué le jeu tout de même…
Quant à M. Atanga qui a demandé des précisions sur le nom de la belle-mère, il a été un peu étonné d'apprendre que je ne pouvais pas répondre sur le champ. Il aurait dit à Thomas : « Mais il est drôle ton copain (moi, donc !), il ne va pas lui-même chercher sa belle-mère à l'aéroport, et en plus il ne connaît pas son nom…! ». Quiproquo donc dans les grandes largeurs.

   Côté belle-maman 
Elle s'était levée à 3 h du matin avec son mari pour gagner, à temps, l'aéroport de Roissy. Arrivés là, à l'enregistrement, première mauvaise surprise : Monsieur avait un passeport périmé ! Il fallait voir la tête de Marcel réalisant tout à coup que Monsieur était théoriquement du voyage lui aussi, sans visa non plus bien sûr. Pour lui l'affaire était réglée : pas question de partir. Ce fâcheux contretemps a entraîné, à Roissy, un premier transbordement de cadeaux de la valise de Monsieur vers celle de Madame…
L'avion était arrivé à 17 h et il y avait déjà près de 2 h que Thomas cherchait désespérément une solution, à son niveau aéroportuaire. Ce que belle-maman et Thomas nous ont révélé c'est l'ambiance qui régnait parmi les préposés à l'accueil des voyageurs. Au lieu de dire « C'est regrettable, nous sommes désolés mais nous devons appliquer le règlement… », ils étaient ravis de pincer quelqu'un qui n'est pas en règle, revanche de l'Afrique sur la France, trop contents de renvoyer la dame en charter… Belle-maman a pleuré plusieurs fois, ce qui n'apitoyait nullement les autorités, au contraire !
Vers la fin de l'enregistrement, Thomas a dit à M. Nkodo : « Alors il n'y a pas de solution, vous la remettez vraiment dans l'avion, M. Atanga ne vient pas, on ne peut pas l'appeler au téléphone ? ». Et juste à ce moment-là, le téléphone a sonné sur le portable de M. Nkodo et c'était M. Atanga, qui donnait la consigne d'arrêter l'enregistrement et de délivrer un visa… M. Nkodo, interloqué, a regardé Thomas se disant sans doute que ce blanc-là avait un pouvoir maléfique qu'il ne soupçonnait pas au départ…

Dernière minute…
Alors que je n'avais pas encore achevé ce récit sur l'ordinateur, coup de sonnette : Marine arrivait avec une bouteille de champagne… Encore du champagne !

Bertrand Tailliez
 


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