A l'occasion de la visite organisée par l'Adac du site archéologique de Cambous à Viols-en-Laval puis du musée archéologique des Matelles, le 1 juin 2017, Robert Schilling a rédigé, à l'intention des visiteurs, une note pour mieux comprendre la place de l'homme de Cambous dans l'évolution de l'Homme. La clarté et la concision de cette note - une prouesse intellectuelle que de synthétiser une telle somme d'informations en 2 pages -  témoigne sans conteste que son auteur est un érudit de la préhistoire !  

 Le visiteur du site de Cambous a le sentiment de faire un retour aux origines, non sans émotion. Et pourtant, l'homme qui vivait ici il y a environ cinq mille ans est le produit d'une longue évolution depuis l'émergence de l'humanité, que des découvertes récentes permettent de dater à 3 000 000 d'années avant le présent (BP). Quelles furent les principales étapes de cette odyssée ? Nous vous proposons quelques jalons. Vous constaterez que l’habitant de Cambous était en fait un tard venu, un homme subactuel, beaucoup plus proche de nous que de Homo habilis, le précurseur africain de la lignée humaine, ou de l'inconnu qui fabriqua les premiers outils. Faisons un bond de trois millions d'années en arrière.

1 - Évolution et diffusion du genre HOMO

L'homme moderne appartient au genre Homo et à l'espèce sapiens, la seule actuellement présente sur terre. Homo sapiens est le produit d'une longue évolution du genre Homo, depuis Homo habilis (et quelques espèces apparentées) dont les premières traces, datées d’environ 2 800 000 années, se trouvent en Afrique australe. Cette espèce purement africaine donna naissance à une espèce plus proche de nous, Homo erectus, qui migra hors d'Afrique aux alentours de 2 000 000 BP pour diffuser progressivement en Asie et en Europe. Les traces de son parcours (jalonné d'espèces apparentées) sont repérables le long d'un périple qui le conduisit au Proche-Orient, puis dans le Caucase (en Géorgie) et de là vers l'est en Asie et vers l'ouest en Europe. L'homme de Tautavel (500 000 BP), un autre voisin, appartenait à cette espèce et l'homme de Neandertal (éteint en 28 000 BP), dont l'aire de diffusion couvrait l'Europe et le Proche-Orient, en serait issu. Nous voilà donc en pays de connaissance.
L'espèce dont nous faisons partie, Homo sapiens, serait apparue en Afrique australe aux alentours de 200 000 BP. Toujours par diffusion progressive, elle sortit d'Afrique à son tour vers 100 000 BP pour aboutir chez nous aux alentours de 40 000 BP. Elle élimina (volontairement on non) l'homme de Neandertal qui occupait les lieux. L'homme de Cro-Magnon, très proche de nous, appartenait à cette espèce conquérante. Nous voici parmi les nôtres...

2 - Émergence de l'homme moderne : les grandes étapes techniques et culturelles

2-1 : Le langage articulé : Homo habilis présentait déjà toutes les conditions anatomiques requises du langage articulé, mais c'est une chose d'avoir des organes en bonne position pour parler et c'en est une autre que de savoir les utiliser à cette fin. Il est reconnu que, au moins depuis Homo sapiens (200 000 BP), dont la culture était techniquement avancée, l'homme disposait de langues complexes. Il n'aurait pas été possible de concevoir et peindre les fresques de la grotte Chauvet ou de Lascaux, qui traduisent une philosophie de la vie très profonde, sans communiquer par la parole y compris sur des sujets abstraits.

2-2 : La fabrication d'outils : La conception et la fabrication d'outils distingue l'homme des autres hominidés. Un outil est un objet dont la fabrication est programmée en vue d'une éventuelle utilisation ultérieure, qui réalise donc un projet et suppose un modèle préalable. Un singe qui casse une noix entre deux pierres trouvées sous l'arbre et aussitôt abandonnées n'a pas inventé le marteau et l'enclume. Les plus anciens outils répondant à cette définition sont vieux de trois millions d'années au moins, antérieurs à l'apparition du genre Homo dont nous faisons partie.

2-3 : La maîtrise du feu : La maîtrise du feu fut une conquête d'Homo erectus, il y a 500 000 ans environ. Cette datation très approximative serait celle de la domestication effective du feu, que l'on utilisait déjà de manière occasionnelle. Les conséquences positives en furent considérables : le feu réchauffe, cuit les aliments, éclaire, éloigne les fauves. Au plan culturel, il entraîna certainement un bouleversement de la vie sociale : c'est autour du feu que la cellule familiale réunie prend ses repas préparés en commun, raconte des histoires, discute des problèmes du moment, élabore des projets et refait le monde. Ainsi se sont développés les grands mythes de l'humanité et les cultures qu'ils ont fondées, d'où le double sens du mot "foyer", qui désigne aussi bien le lieu où l'on allume le feu que celui où l'on vit en famille. L'homme de Cambous et ses ancêtres maîtrisaient le feu depuis de nombreux millénaires.

2-4 : Les sépultures : Les plus anciennes sépultures connues et certifiées, datées de 100 000 BP, sont attribuées à l'homme de Neandertal, en Europe de l'ouest. Les rites funéraires traduisent l'angoisse métaphysique du néant qui conduit à nier la mort, à honorer les disparus et à imaginer une après-vie. Le problème se pose toujours...

2-5 : L'apparition de l'art : Les peintures rupestres de la grotte Chauvet (33 000 BP) sont les plus anciennes connues, mais le sens du beau et l'émergence de la pensée symbolique ont précédé de très loin l'art pariétal et les objets décorés sur supports durables qui sont parvenus jusqu'à nous. Depuis Homo erectus et même avant, l'utilisation de colorants, de coquillages percés, de cristaux et de fossiles à buts décoratifs, de proto-sculptures vaguement figuratives sur supports minéraux, attestent d'un souci esthétique extrêmement ancien. Les formes périssables de cet art ont évidemment disparu.

2-6 : La révolution néolithique : On désigne sous le terme de "révolution néolithique" le passage de l'économie de prédation (chasse, pêche, cueillette) qui était le lot de l'humanité depuis l'origine, à l'économie de production (agriculture et élevage) que pratiquait déjà l’homme de Cambous et ses contemporains. Cette révolution culturelle - qui n'est pas achevée de nos jours - débuta il y a une dizaine de millénaires en divers points du globe, dont le « croissant fertile » du Moyen-Orient. La quasi-totalité des espèces domestiques animales ou végétales qui fondèrent la première agriculture européenne sont issues de cette région, d’où elles ont migré vers l’ouest.

3 – Le mode de vie de l'homme de Cambous : Le premier âge des métaux

L’homme de Cambous, appartenant comme nous à l'espèce Homo sapiens, savait donc depuis longtemps parler et débattre, fabriquer des outils et des parures, allumer son feu et honorer ses morts. Il vivait à l’ère chalcolithique (début de l’âge des métaux). Il prélevait encore une partie de ses aliments directement dans la nature sauvage, mais c’était déjà un agriculteur-éleveur sédentarisé, vivant en petites communautés villageoises dans un environnement naturel beaucoup moins érodé qu’aujourd’hui. On ne distingue à Cambous et dans les autres sites contemporains aucune spécialisation de l’habitat, ce qui traduit un mode de vie uniforme et égalitaire où les classes sociales fondées sur des activités spécialisées et hiérarchisées (caste dirigeante, culte, défense, artisanat) ne sont pas encore discernables. La métallurgie du cuivre et de l’or (métaux malléables à point de fusion bas) qui caractérise le chalcolithique, était vouée prioritairement à la fabrication de bijoux et d’armes, l’outillage banal étant encore à base de pierre ou d’os.

Pour conclure, voici un petit calcul qui vous permettra de vous repérer dans cette immense durée : Si l'on comprime les trois millions d'années de l'aventure humaine en une seule année – les premiers outils ayant été fabriqués à la première minute du premier janvier – la grotte Chauvet aura été ornée tard le 28 décembre, la révolution néolithique aura débuté le 30 décembre, le site de Cambous aurait été habité le 31 décembre vers midi et nous serions actuellement le 31 décembre à minuit. Pendant plus de 99 % de sa présence sur terre, l'homme aura vécu en prédateur, de chasse, de pêche et de cueillette. Il en reste des traces dans notre subconscient...

Bonne visite !

Robert Schilling
Mars 2017


Ajouter un Commentaire

Enregistrer