Je suis allé en Guinée en 1967, pays qui m'était jusqu'alors inconnu, et ce séjour m'a laissé quelques souvenirs que je livre en vrac à la curiosité des lecteurs y ayant vécu avant ou après le règne de Sékou Touré.

Les curiosités de l'administration
A cette époque, les français résidants ou de passage étaient fort mal aimés, très surveillés par le pouvoir et ne se montraient guère. Aussi, bien que faisant partie d’une mission de la Banque Mondiale chargée de l’étude de faisabilité de la route Kissidougou – Nzérékoré – frontière du Libéria, donc théoriquement protégé par la bannière des Nations Unies, je n’échappais pas aux tracasseries administratives.
J’étais en possession d’un permis de conduire international mais fus quand même menacé de repasser mon permis de conduire ; j’évitais l’examen grâce au don de quelques romans policiers au commissaire de police et je conserve encore précieusement ce morceau de carton rose.
Bien qu’ayant eu la prudence de me faire délivrer à mon arrivée une autorisation de photographier, je fus un jour conduit au commissariat central de Conakry et enfermé dans une cellule par un policier illettré pour avoir photographié le palais de Sékou Touré (ancienne résidence du gouverneur). Il avait retourné dans tous les sens mon autorisation pour conclure qu’elle était sûrement un faux et que j’étais un espion colonialiste ! Heureusement, cette situation inconfortable ne dura que quelques heures car je fus libéré avec ses excuses par le commissaire (le même que précédemment) dès qu’il revint à son poste. La même aventure faillit d'ailleurs m’arriver au jardin botanique de Camayenne alors que je photographiais la case dite « du professeur Chevalier ». Mais là, le policier savait lire et le garde du jardin (quasi abandonné) lui expliqua que j’étais un « ami » de son patron.
Résidant la plupart du temps à Nzérékoré (à l’hôtel de la « Forêt sacrée » sans eau et avec deux heures d’électricité par jour) je dus prendre ma carte du « parti » pour pouvoir aller au cinéma dans la salle du « parti » où j’ai vu à plusieurs reprises, faute de choix, L’homme de Rio avec Jean-Claude Belmondo ! En revanche, mes voisins, des prospecteurs d’or Iakoutes, en étaient dispensés et ne manquaient pas une séance bien que ne connaissant pas un mot de français !
La solidarité agronomique
Des rappels imprévus d'un passé commun m’ont laissé de bien meilleurs souvenirs.
Travaillant en Guinée forestière, j’étais proche de Sérédou et désireux de visiter cette fameuse station de recherches Seredou vers 1950sur le quinquina dont Lalande (Alger & Nogent, 1934), son fondateur et directeur jusqu’à l’indépendance, m’avait chanté les louanges. J’en étais d’autant plus curieux que j’avais passé 5 ans à Dschang au Cameroun, où se trouvait la station rivale fondée et dirigée par son rival, Lagarde (Tunis et Nogent, 1927). Muni des autorisations indispensables, je m’y rendis et fus obligé de subir un cours sur la supériorité de la génétique soviétique (on était à l’époque de Lyssenko) dispensé doctement par son directeur, plus politique que généticien. Heureusement, pris par des tâches aussi mystérieuses qu’importantes, il me laissa entre les mains d’un vieil assistant d’une extraordinaire compétence qui joua les guides avec d’autant plus de plaisir que les visiteurs agronomes étaient rares. Le privilège de l’âge et de l’expérience faisaient de lui le véritable directeur de « sa » station qu’il entretenait au mieux avec les faibles moyens qui lui étaient donnés. J’ai pu voir des laboratoires parfaitement entretenus mais vides de toute présence humaine, des collections de quinquinas en très bon état, des parcelles d’essai reproduisant ou prolongeant les recherches entreprises avant 1958 où quelques « manœuvres » s’affairaient en m’apercevant. Mais le plus surprenant fut la bibliothèque d’une propreté et d’un ordre méticuleux. Demandant comment les utilisateurs pouvaient bien respecter un tel lieu, je m’entendis répondre « Cela n’est pas étonnant. J’en interdis l’entrée à tout le monde ! » Enfin, j’eus le privilège de passer la nuit au «poste cinq », la case la plus haute de la station, dominant une mer de quinquinas. Cette station était aussi belle qu’on me l’avait dit mais n’était plus qu’un musée. Qu’est-elle devenue ?  (NDLR : en 1998, la station était bien conservée, comme en témoigne la photo ci-contre)
Voulant atteindre le bout de la route dont l’étude de réhabilitation nous avait été confiée, je tentais d’aller jusqu'à la frontière avec le Liberia et, si possible, de visiter les plantations d’hévéas de la compagnie Firestone. La frontière étant étroitement surveillée (pour cause de contrebande et non de guerre !), j’allais exposer mon problème au sous-préfet de Yomou dont dépendait ce secteur. A ma grande surprise, ce fonctionnaire était un ancien ingénieur ou conducteur des services de l’agriculture et il m’accueillit en camarade, m'invita à déjeuner et se montra tout disposé à me rendre service. Rendez-vous fut pris au poste frontière pour quelques jours plus tard et je devais m’y rendre avec deux bouteilles de vin (on se procurait du vin bulgare avec des dollars). Au rendez-vous, mon camarade le sous-préfet donna les bouteilles aux douaniers guinéens, déposa son revolver à la gendarmerie car « il ne pouvait quand même pas entrer armé dans un pays étranger » et nous franchîmes la frontière en voiture sans plus de complications. Nous nous sommes quittés en convenant d’un rendez-vous le soir. Mon sous-préfet me retrouva à l’heure dite avec sa voiture bourrée de sacs et de paniers dont je me gardais bien de demander le contenu. Il n’avait pas perdu son temps et moi non plus car j’avais pu circuler discrètement dans les plantations sans être importuné par un quelconque « tonton macoute » des américains dont on m’avait dit de me méfier.
Deux anecdotes
La première, toute personnelle et familiale, est un rappel du passé. Mon grand-père maternel, mort à 90 ans en 1945, avait entrepris d'écrire durant la guerre les mémoires du grand baroudeur qu'il avait été. Dans ce volumineux ouvrage dactylographié par lui, j'étais tombé sur un petit passage (8 pages) relatant son séjour en Guinée en juin-juillet 1902.
Il avait quitté Marseille le 23 mai à bord du vapeur Anna-Eugénie pour n'arriver à Conakry que le 10 juin, convoyant du matériel de chemin de fer destiné à la construction du Conakry-Niger ainsi que d'en assurer le déchargement. Il en fit de même pour deux autres steamers le Marie-Elisabeth, puis l'Isabelle sur lequel il regagna l'Algérie non sans mal vers la mi-juillet. Le bateau « rentrait sur lest » et de plus l'état de ses chaudières l'obligeait parfois à naviguer à la voile ! Dans l'attente de l'arrivée des différents bateaux, son séjour lui laissa le loisir d'explorer les environs de Conakry et il cite : la région des Rivières, la région montagneuse vers Timbo et la forêt des environs, sans donner plus de précisons.
Mon grand-père n'était pas agronome mais spécialiste des transports maritimes et fluviaux. Cependant, découvrant moi-même ce pays, je fus marqué par son passage 65 ans avant moi.
Une deuxième anecdote conduit au futur : j’étais allé visiter, à la demande du directeur de l’Ifcc (Coste, Nogent, 1925) et de son spécialiste du thé, Guinard (Agro et Nogent, 1945) non sans mal et sans appareil photo, une plantation de thé d’un projet chinois dans les environs de Sérédou. J’y fus accueilli par l’un des cadres, interprète de l’équipe, et le seul à parler autre chose que chinois. Or bien des années plus tard (1985), en mission en Chine du Sud (Guangdong), dans une station de recherches, je fus salué d’un « Bonjour, Monsieur Simon, comment allez-vous ? » C’était "Chang", mon chinois de Guinée qui avait pris du galon mais était toujours spécialiste du thé!

Bernard SIMON
 


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