Nous avons tous rencontré des éléphants, en Afrique et dans des réserves le plus souvent. Pour ma part, après avoir éliminé les visites de réserves (Wasa au Cameroun, le W au Burkina, plusieurs au Kenya dont lac Turkana et Kilimandjaro, Yala au Sri-Lanka, etc…), J'ai eu quelques rencontres qui m'ont marqué, avec ces nobles bêtes.

 Au Cameroun, vers 1956-57, alors que j'étais en poste à Dschang, mon chef de service de l'époque, saisi d'une virulente fièvre aménagiste, m'intima l'ordre d'entreprendre une prospection de la plaine des Mbos en vue d'en établir un énième plan de mise en valeur (le premier avait été réalisé par un major allemand en 1911!).

Cette plaine était (et est toujours) traversée par deux rivières, la Métchié et la Ménoua, affluents du Mungo, qui avaient donné leurs noms à deux réserves forestières aux limites incertaines créées par les Eaux et Forêts sans sérieuses études préalables. Ayant appris par mon collègue forestier que les sols de la Métchié lui paraissaient avoir une meilleure fertilité potentielle que le reste de la plaine, je commençai mes prospections par cette réserve.

Mais comment pénétrer dans une telle forêt secondaire au sous-bois très dense et dépourvue de pistes car fréquentée seulement par quelques rares chasseurs clandestins. La solution de facilité que j'adoptais avec l'accord unanime de ma suite (huit porteurs, mon boy-cuisinier, un gardien régional et son tromblon de la guerre de 70 et un assistant agricole servant de guide car prétendant connaître la réserve), était de suivre les trouées laissées par les éléphants (il y en avait encore à l'époque dans la plaine) tout en gardant à la boussole le cap résultant des levés d'itinéraire du major allemand, prêtés pour l'occasion par le service géographique.

Aussitôt dit, aussitôt fait et notre petite troupe s'engage pleine d'entrain dans ce qui était pour tous (même pour le soi disant guide) une véritable exploration. Mais bavardages et chants plus ou moins guerriers pour se donner du courage, ça dérange le petit monde de la forêt et, en particulier, les éléphants ! Quand on suit une trouée d'éléphant, quoi d'étonnant de trouver sur son chemin un de ces animaux en train de brouter tranquillement. Les hommes et le bruit, ça énerve quand on est en plein casse croûte matinal d'ou barrissements de colère (ou de peur; je ne saurai jamais!)et tentatives de charges d'intimidation. Ces manifestations de mauvaise humeur eurent immédiatement raison de ma valeureuse escorte qui s'égailla en moins de temps qu'il ne faille pour le dire, comme une volée de moineaux, abandonnant à droite et à gauche cantines, lit picot et autres impedimenta jusqu'au flingue de mon gardien, pour se réfugier qui dans un arbre, qui sous un fourré… me laissant seul face à ce gros tas de viande en colère contre l'espèce humaine, qu'elle soit blanche ou noire !

Suivit alors un étrange ballet entre l'animal et moi autour d'un gros arbre qui se trouvait heureusement là. Je l'eus à l'usure étant plus souple et plus rapide dans un circuit aussi restreint et mon éléphant qui, d'ailleurs, par chance, était une femelle non suitée, finit, au bout d'un temps qui me parut éternel, par abandonner ce face à face sans intérêt pour retourner à ses occupations. Quelques minutes après, ma vaillante escorte réapparut de partout et nulle part en me félicitant de mon courage, chantant à gorge déployée mes hauts faits. Chacun reprit alors sa charge et le garde son fusil et nous repartîmes comme si de rien n'était pour poursuivre la prospection.

C'était mon premier éléphant car je n'en avais vu jusque là que dans les zoos métropolitains et ma première grande peur africaine.

Du Sri-Lanka (Ceylan à l'époque) où je suis allé en mission en 1971 et 1972 pour faire l'étude du projet d'aménagement du bassin du Mahaweli Ganga, j'ai gardé trois anecdotes plus drôles que la précédente.

Un jour que je longeais tranquillement un canal d'irrigation près de la station de Maha Illupalama, je vis une mère de famille allant au bain avec ses enfants et son éléphant (à Ceylan l'éléphant fait partie de la famille comme le chien chez nous). Tout ce petit monde se mit à l'eau et commença ses ablutions; puis on passa à l'éléphant qui s'était déjà couché dans le canal, en habitué qu'il était de cette toilette. Mère et enfants, chacun avec une pierre rugueuse en main, se mirent à curer leur éléphant pour le débarrasser de ses parasites. Notre animal se laissait faire avec plaisir présentant, très décontracté, les différentes parties de son individu à ses soigneurs.

Mais, voilà-t-il pas que cet éléphant découvre à proximité une présence insolite et curieuse (la mienne), incongrue dans son intimité familiale. Aussi, pour éloigner l'importun, il remplit discrètement sa trompe et m'envoya une bonne giclée d'eau qui m'atteignit en plein visage juste après que j'aie pris une photo de la scène. Je m'éloignais alors, honteux et confus, accompagné par des barrissements moqueurs et par les rires de la famille, ravie du tour joué par leur gentil éléphant à ce malotru de blanc.

Un de mes collègues, rentrant de nuit à Colombo à assez vive allure (la police de la route ne sévit pas après la nuit tombée) ne vit pas un éléphant qui rentrait à la maison avec son cornac sans bien tenir sa gauche. Il emboutit par l'arrière la pauvre bête qui, du coup, s'assit sur le capot de la voiture et l'enfonça profondément. Les explications vigoureuses qui suivirent avec le cornac et les badauds accourus sur ces entrefaites en dépit de la barrière de la langue réveillèrent la police qui coffra mon malheureux collègue.

Le lendemain, notre ami comparut en flagrant délit au tribunal de Colombo, enfermé comme un malfaiteur dans une cage grillagée (c'est la règle là-bas, car bien des prévenus deviennent "amok" - genre de folie locale subite - en entendant leur condamnation et causeraient bien des dégâts s'ils n'étaient pas encagés). Il eut beau arguer pour sa défense, à la grande joie de l'assistance, que l'éléphant était dépourvu de cataphotes et le cornac de lampe tempête, il fut condamné mais s'en tira avec seulement une amende. Ceylan étant une île, la multiplication des éléphants domestiques pose des problèmes graves de consanguinité dont les paysans sont bien conscients. Pour y remédier, ils ont pris l'habitude de lâcher la nuit les femelles en rut dans la brousse pour qu'elles se fassent couvrir par des males sauvages. On reconnaît les éléphants domestiques à ce qu'ils ont un bout de chaîne à une patte arrière, mais çà ne se voit pas facilement la nuit.

Nous nous rendions un soir à Trincomalee (les Tamouls y étaient encore calmes !) et avions à traverser une forêt assez dense. Mais la route y était bloquée par quelques éléphants. Pensant qu'il s'agissait d'éléphants domestiques, le conducteur klaxonna pour qu'ils dégagent; on vit, hélas, trop tard qu'ils n'avaient pas de chaînes; c'était des « sauvages » qui nous foncèrent dessus avec des barrissements belliqueux. Heureusement notre conducteur, adepte de F1, était un as qui réussit une rapide marche arrière suivie d'un tête à queue qui nous permit de prendre la fuite sans dégâts. Nous répartîmes pour Trincomalee quelques temps plus tard, mais…de jour !

En Thaïlande enfin, dans les années 80, je circulais au nord-est de Bangkok près de la frontière cambodgienne dans une région peu peuplée et peu fréquentée pour expertiser des plantations de tangerines destinées à alimenter l'usine de jus de fruits d'une grosse société locale. Dans la forêt en bordure d'un des vergers, j'entendis soudain des cris humains et des barrissements de colère; il était clair que l'on se disputait fort.

Nous approchant pour voir ce qui se passait, nous découvrîmes une scène fort amusante: un éléphant (très gros) et son cornac (tout petit) se disputaient sur un chantier de débardage de grumes. L'éléphant ne voulait pas pousser tout seul une bille qu'il estimait trop lourde contrairement à l'avis de son cornac, soucieux du rendement.
Après quelques minutes de palabres et l'intervention d'autres cornacs, un accord fut trouvé au profit de l'éléphant récalcitrant: on amena un autre éléphant et le travail se poursuivit à deux à la grande honte du cornac désavoué.

Bernard Simon
 


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