Il est des pays dont on rêve très jeune sans bien savoir pourquoi : réminiscences de lectures, Gengis Khan et l'empire mongol, le désert de Gobi, prétendu le plus grand du monde, l'Etat comptant dix fois plus de bétail que d'habitants, les yourtes, les petits chevaux sauvages...
C’était la MONGOLIE !

Cependant j'ai failli y aller, vers 1965 ou 1966, par la fantaisie de mon patron de l'époque (j'étais à la Sedes, bureau d'études économiques, filiale de la Caisse des dépôts), pour apprendre aux Mongols à bien tuer leurs bovins de manière à ne pas perforer leur peau et à améliorer leurs méthodes de tannage ; en fait pour les aider à développer un élevage moderne.

C'était une commande de la société Bata, fabricant tchèque de chaussures bien connu « Bata » en France, mais « Svit » en Tchécoslovaquie, à l'époque), qu'il nous était demandé d'honorer, vraisemblablement pour des raisons politiques ! Cette société s'inquiétait de la médiocre qualité des peaux tannées qu'elle recevait d'Oulan-Bator, via la Chine, impénétrable à l'époque.
Je me suis toujours demandé par quel hasard j'avais été désigné, moi, homme de la forêt tropicale, qui ne connaissait pas grand-chose à l'élevage nomade pour n'avoir fréquenté que quelques éleveurs Bororos sur le plateau de l'Adamaoua et qui ne parlait ni le mongol officiel (le "khalkha"), ni même le russes ! Heureusement, je devais faire équipe avec un collègue, économiste de l'élevage, d'origine tchèque et russophone et je me réjouissais de cette chance qui m'était donnée !
Hélas ! Le vent – politique ou économique – tourna et Bata annula son projet alors que nous nous apprêtions, visas en poche, à partir pour Prague.
J'oubliai alors mes rêves inassouvis qui ne furent réveillés par la suite que fortuitement, avec les souvenirs anecdotiques d'un de nos premiers ambassadeurs dans ce pays de cocagne. Ce dernier racontait qu'il était en résidence à Pékin et se rendait huit jours par mois à Oulan-Bator, accompagné de sa seule secrétaire et d'une valise diplomatique abondamment garnie... de vivres ! L'ambassade n'y avait pour résidence que deux chambres dans l'unique hôtel de la capitale... mais on pouvait y faire la cuisine !
Ce pays se rappela pourtant à moi une vingtaine d'années plus tard dans de curieuses circonstances.
En 1988 ou 1989, lors d'un de mes derniers passages à Bangkok pour le Cirad, devait se tenir une réunion du comité de l'agriculture, du développement rural et de l'environnement de l'Escap (Economic and Social Commission for Asia and the Pacific). L’ambassadeur qui venait d’arriver ne tenait pas y aller et demanda à son conseiller culturel de l’y représenter. Celui-ci, parfaitement incompétent, finit par accepter mais demanda à ce que le représentant français officiel soit moi. En réalité nous étions 4 : Laboucheix, Deuse, Jourdain et moi (photos disponibles)
En effet, le Cirad était connu et apprécié de l'Escap qui finançait et hébergeait une petite équipe de chercheurs travaillant à l'établissement de guides d'utilisation des pesticides pour cette partie du monde et j'entretenais pour ma part d'excellentes relations avec son secrétaire général, Mohamed KIBRIA, un sympathique diplomate bangladeshi. Comme je venais d'être bloqué à Bangkok sur le chemin du Viet Nam par le ministère des Affaires étrangères, j'acceptai cette charge sans enthousiasme.
Cette corvée commença fort mal car, dès la première séance, la France fut attaquée par l'Australie et quelques autres Etats – dont la Mongolie – sur la reprise de ses essais nucléaires dans le Pacifique. Totalement incompétent et sans instructions, je « bottai en touche » en indiquant que cette très importante question n'était pas du domaine de compétence de notre comité et devrait donc être renvoyée au comité ad hoc.
Le représentant mongol était un membre de l'ambassade en Thaïlande et – première surprise – parlait fort bien français pour avoir fait des études en France. Il s'était déjà fait remarquer avant l'ouverture par sa suffisance et son agressivité, particulièrement à l'égard des anglophones. Il s'était aussi ridiculisé en interpellant les uns et les autres car il était à la recherche de son ministre qui aurait dû arriver d'Oulan-Bator – et qui n'est jamais venu ! – et n'avait pas d'instructions pour se substituer à lui.
Parlant aussi un très bon anglais, il a « chipoté » sans arrêt, presque mot par mot, la rédaction des propositions du comité jusqu'à ce qu'il se fasse remettre en place par le représentant australien qui l’interpella en lui disant : « Mais enfin ! C'est votre langue ou la mienne ? »
En fin de session, ce jeune homme est toutefois venu me trouver pour me dire combien il aimait la France et pour m'inviter à visiter son beau pays.
Encore une occasion manquée ! Trop tard ! Je ne m'en suis pas remis.

Versailles, janvier 2015
Bernard Simon, Le Mongol manqué


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