Un jour quelqu’un me posa la question : « Croyez-vous en Dieu ? », je lui répondis sans même réfléchir : « Bien sûr ! Puisque vous êtes là, devant moi ». Peut-être s’attendait-il à ce que je considère que sa présence n’était que construction de mon esprit, en tous cas ma réponse ne dut pas lui convenir, car mon interlocuteur tourna les talons et je ne l’ai plus revu.
Pourtant sa visite s’inscrivait dans une longue série où, magnétophone et secrétaire à l’appui, il me questionnait sur mon parcours dans le mince espoir de voir jaillir de mes propos quelque lumière, mais probablement pas celle, sacrée, du Mont Thabor. Là, dans le jardin, nous devisions agréablement en sirotant quelque boisson et j’évoquais mes souvenirs du Sahara ou d’autre part, toujours à la recherche de quelque mythe. Car la curiosité est le moteur de l’esprit et de la vie tout court. Sans elle plus de joie ni d’espoir, c’est l’encéphalogramme plat, autant dire la mort. Mais dans la pensée de mon visiteur la réponse à sa question ne pouvait être que négative, sinon c’était porte ouverte à l’obscurantisme ou à quelque autre niaiserie, et du coup mon personnage perdait toute sa saveur.
Être athée n’est pas être agnostique, c’est pour beaucoup ignorer la question, c’est vouloir refuser même qu’elle se pose. Absence d’intérêt ou paresse d’esprit ? La réponse à cette attitude m’est venue d’Hubert Reeves à propos de l’intelligence des animaux. Celles des chiens, des chats, partagent de nombreux points avec l’homme : l’affection, l’obéissance, la reconnaissance, le sens du bien et du mal, la compréhension du langage. Il y a de grandes affinités d’où le plaisir d’échanger, de se sentir proche d’eux, de pouponner même, mais vous n’apprendrez jamais les mathématiques à votre chat. Seuls quelques rudiments de cette connaissance sont à la portée des perroquets. Les éléphants ont conscience de la mort, croient-ils en une autre vie et en la métempsychose ? Comme chez les animaux, l’intelligence de l’homme a ses propres limites bien qu’il tente désespérément de les dépasser.
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu nous dit l’évangile selon Saint Jean. Car, contrairement au discours de la Genèse, Dieu n’a pas créé l’homme à son image, c’est l’image de Dieu qui a été décrite par l’homme au travers de révélations. La meilleure preuve est que chaque civilisation nous en offre une image différente. Nous avons faute de mieux une vision anthropomorphique de Dieu, et cela nous a suffi pendant des siècles sinon des millénaires. Beaucoup ne l’acceptent plus aujourd’hui, même si sentimentalement cela nous rassure davantage. A chacun sa culture et ce sont les autres qui sont dans l’erreur et que nous suspectons. La science nous apprend que la vie est issue de la matière inerte. La pensée est née de la vie. Elle a conçu le langage, l’écriture, la machine, l’électronique, l’informatique, la robotique, tout va désormais tellement vite que cette dernière se suffira bientôt à elle-même et pourra s’auto-reproduire. Et avec elle des moyens de reconnaissance que nous n’avons pas encore acquis. Car le bozon de Higgs, notre nouvelle conquête, auquel on doit l’ordonnancement du Monde, ne fait que reculer les limites de nos concepts. Même si c’était le doigt de Dieu, il ne répond toujours pas à notre question, d’où venons-nous, où allons-nous ? Cette interrogation s’impose car le Monde n’est pas statique, il évolue sans cesse, même si le temps lui-même n’est qu’une construction de notre esprit. Ira-t-il s’engouffrer dans un trou noir d’où il renaîtra ensuite dans un Monde inversé ? Serait-ce cela l’Autre Monde ?
Il y a là quelque chose qui nous dépasse et ce n’est pas moi, comme le chat, avec mes moyens limités, qui pourrait apporter la réponse.
Philippe Bruneau de Miré
Epigraphe de Théodore Monod, parvis de l'église de Souppes/Loing
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