Vous avez certainement remarqué que la société regorge aujourd’hui de philosophes. Jadis ils étaient plus rares, certains s’isolant au fond d’un tonneau. In vino veritas, c’était une philosophie souriante, mais aussi souvent austère comme Job sur son fumier. Prionotropis.


Aujourd’hui nombreux sont ceux qui se déclarent philosophes. J’ai été invité il y a peu à un congrès s’intitulant « L’homme, meilleur ennemi de la Nature ». C’était un titre alléchant pour moi qui ne cesse de renâcler devant les interdits au prétexte de protéger l’environnement. Je n’y ai pas trouvé de quoi alimenter mes réflexions. Mais j’y ai découvert un nouveau concept, celui de philosophe des libellules, autant dire des demoiselles. Cela m’a donné l’envie de m’autoproclamer philosophe des sauterelles, puisque ce sont elles qui m’ont permis de m’initier à la connaissance de la nature.

Au cours de ce congrès j’ai entendu décliner la nature sous tous ses aspects, le plus souvent réglementaires. Un seul n’a pas été évoqué devant moi et je n’ai pu intervenir, le public n’ayant droit que de poser des questions. C’est qu’il n’y a plus depuis belle lurette de milieux naturels en France ni ailleurs en Europe, il n’y a que des paysages qui résultent de l’interaction entre l’homme et la nature. Où l’homme n’a-t-il encore mis les pieds ? Au fond des océans peut-être, peu à peu engorgés par ses pollutions.
Alors ? Doit-on se battre contre des moulins ? Les meilleurs défenseurs de la nature ont été les paysagistes, ces peintres qui de Marlotte à Barbizon se sont heurtés à l’administration qui gouvernait la forêt et ont obtenu la création de réserves soustraites à l’aménagement forestier. Leur unique objectif était d’observer, de s’imprégner, de révéler un peu de nature, non de la normaliser ou de la maintenir en l’état comme prétendent nos écologistes modernes. L’interdire à tout visiteur, comment alors l’admirer ? Et puis soustraire des paysages à toute fréquentation humaine c’est à coup sûr détruire un équilibre élaboré au cours des siècles, à la faveur de l’agriculture et du pastoralisme. Réglementer cette fréquentation n’est pas mieux. La meilleure preuve est celle des terrains militaires, personne n’y cherche à gérer quoi que ce soit sinon l’art de la guerre et les destructions qu’il entraîne. Ce sont là les plus riches réservoirs de biodiversité. Exemple : parmi les sauterelles les plus rares, le genre Prionotropis n’occupe en France que deux localités, l’une, les parcours à moutons de la Crau, l’autre, le terrain militaire du Plan de Canjuers.
Ce n’est pas la nature qu’il faut protéger, ce sont ses usagers qu’il faut rééduquer. C’est le philosophe des sauterelles qui vous le dit.
 


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