Après un long combat contre la maladie, Sylvie Gourlet-Fleury nous a quittés, le soir du 22 janvier 2023, à l’âge de 59 ans. Fonctionnaire détachée du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation au Cirad depuis 1989, Sylvie a, par ses travaux de recherche, apporté une contribution exceptionnelle à la compréhension du fonctionnement des forêts tropicales humides, notamment en Guyane et dans les forêts d’Afrique centrale.
Elle a ainsi grandement œuvré au développement du concept de gestion durable de ces écosystèmes, réservoirs de biodiversité et aujourd’hui situés au cœur d’enjeux multiples face à l’urgence climatique. Les forêts tropicales vivaient en elle : même si elle savait que leur usage par les sociétés humaines était inévitable, c’est toujours la protection et la survie de ces forêts qui lui tenaient à cœur.
Après sa formation d’ingénieur(e) du Génie rural des eaux et des forêts (Engref) terminée en 1986 par un stage de fin d’étude au Burundi (cartographie de la végétation forestière de la crête Zaïre-Nil), Sylvie entre au centre montpelliérain de l’Engref (devenue AgroParisTech), en tant qu’adjointe du directeur de la formation forestière supérieure pour les régions chaudes. A ce titre, elle forme et encadre de nombreux étudiants, du Nord et du Sud, lors de modules de terrain en France et au Cameroun. Elle réalise aussi une première expertise sur la végétation forestière du Mont Oku et de la réserve du Dja au Cameroun.
En 1988, Sylvie prend un poste d’expert forestier dans le bureau d’étude BDPA-Scetagri. Elle y assure des activités de cartographie et de typologie de la végétation forestière en France, en Guinée Conakry, au Burundi et au Rwanda. C’est pour elle l’occasion de se perfectionner en photo-interprétation et d’apprendre à traiter des images satellites (Spot). Passer de la caractérisation des communautés forestières à la compréhension de leur fonctionnement devient rapidement une priorité à ses yeux et le poste en Guyane que lui propose le Centre technique forestier tropical (CTFT) en 1989 est l’occasion de faire le saut de l’expertise vers la recherche. Elle ne quittera plus le Cirad.
En Guyane française, Sylvie remplit d’abord une double fonction de gestionnaire du parc informatique du département Forêts et de coresponsable de la gestion du récent dispositif sylvicole expérimental de Paracou. Confrontée à la nécessité d’analyser de gros jeux de données, Sylvie décide d’entreprendre un parcours de recherche : elle s’inscrit à l’Université de Lyon, d’abord en DEA (1992-1993, Analyse et modélisation des systèmes biologiques, dirigé par J-M Legay), puis en thèse, sous la direction de François Houllier (1994-1997). Ses travaux de DEA et de thèse portent en grande partie sur l’étude et la compréhension des déterminants de la croissance des arbres en forêt naturelle, et de la réaction de ces arbres à des interventions sylvicoles. Ils conduisent à la préconisation de nouvelles règles de sylviculture et à la révision de la durée des cycles de rotation en forêt guyanaise. Ses travaux permettent la construction d’un simulateur de la dynamique forestière, Selva, fonctionnant sur la base d’un modèle arbre dépendant des distances. Sylvie a été sans nul doute une des pionnières de la modélisation de la dynamique des forêts tropicales.
En juin 1996, Sylvie est affectée à Montpellier et rattachée au programme Forêts naturelles afin de terminer la rédaction de sa thèse, soutenue en 1997. De 1996 à 2002, elle continue à diriger à distance le dispositif, les équipes et les travaux à Paracou. Entretemps, à partir de 1998, elle s’implique dans le montage d’une équipe de recherche orientée vers la modélisation de la dynamique des forêts naturelles, et vers l’approfondissement des connaissances des processus de régénération en forêt, alors point d’achoppement des tentatives de prédiction des effets à moyen et long terme de l’exploitation forestière. En 1999, elle prend la responsabilité de l’équipe Etude et modélisation de la dynamique forestière, au sein du programme Forêts naturelles du Cirad-Forêt. De 1999 à 2004, en parallèle à différentes activités de montage et de gestion de projets, d’encadrement d’étudiants et de rédaction d’articles, elle s’implique dans l’élaboration d’un projet scientifique d’unité. L’unité qui voit le jour est la seconde unité du Cirad à se présenter, avec succès, en 2004, à l’évaluation externe internationale mise en place par la direction. C’est ainsi que naît l’unité Dynamique des forêts naturelles, dirigée jusqu’en 2010 par Sylvie, l’une des premières femmes directrices d’UR au Cirad. En 2009, une nouvelle restructuration des unités au sein du Cirad incite Sylvie, en collaboration avec Alain Billand, alors responsable de l’UR Ressources forestières et politiques publiques, à fusionner les deux unités et l’UR Forêts et Biodiversité de Madagascar pour créer l’unité BSEF (Biens et services des écosystèmes forestiers tropicaux), devenue Forêts et sociétés en 2015. Sylvie assure une période de transition en restant coresponsable de l’un des domaines de la nouvelle unité. A partir de 2011, elle se consacre au montage et à la coordination de plusieurs projets de recherche d’envergure dans le bassin du Congo (Coforchange, DynafFor, Dynafac, P3FAC). Elle ne cesse d’œuvrer pour trouver des financements pour pérenniser le dispositif de MBaïki en RCA et assurer des mesures régulières d’inventaire, parfois même au périple de sa vie. Sans sa détermination et sa force de conviction, ce dispositif ne serait pas aujourd’hui l’un des dispositifs les plus anciens encore actifs en région tropicale avec Paracou. Tous ses projets visent le même objectif de garantir la durabilité des peuplements forestiers. En Afrique centrale, ces projets aboutiront à l’émergence d’un des plus grands réseaux de dispositifs de suivi de la dynamique forestière en Afrique centrale basé sur un concept original, et à la constitution d’une base de données irremplaçable sur la composition et la structure des forêts denses humides. Ces données alimenteront de nombreux travaux de recherche, dont encore récemment une étude internationale sur la composition et la vulnérabilité des forêts d’Afrique centrale, qu’elle a coordonnée en partenariat avec l’IRD, publiée dans la revue Nature en 2021. Cette étude a permis de cartographier la composition des forêts tropicales d’Afrique centrale et leur vulnérabilité à l’augmentation des pressions climatiques et humaines attendues dans les prochaines décennies.
Inlassable travailleuse, pleine d’une énergie communicative, droite et directe tant dans sa pensée que dans sa vie, Sylvie a partagé son temps entre des terrains difficiles dans les forêts de Guyane et du bassin du Congo et des analyses de fond sur la dynamique des populations d’arbres. Son travail est à juste titre jugé comme fondamental dans la compréhension des mécanismes écologiques qui déterminent la nature même des forêts tropicales. Très estimée et respectée par la communauté scientifique, Sylvie était une infatigable promotrice de nouveaux projets permettant de mieux comprendre les interactions entre l’écologie forestière, la gestion forestière et les impacts du changement climatique. En complément de ses grandes compétences professionnelles, ses qualités humaines, sa serviabilité, son amabilité, sa curiosité d’esprit, son écoute et sa grande ténacité face aux difficultés de toutes sortes firent d’elle une collègue exceptionnelle appréciée de tous. Chacun et chacune de ses collègues garderont la mémoire d’une personne lucide qui, jusqu’à ses derniers jours, ne lâchait rien, ne cédait jamais à l’abattement, se désolait parfois de la course du monde et de l’imprévoyance humaine, mais gardait en elle, transparaissant en son regard, une invincible force d’espérance. Femme d’exception, elle restera un modèle pour toutes les jeunes chercheuses au Cirad qui peuvent parfois douter de leur possibilité réelle de faire avancer les choses et d’affirmer leur point de vue.
Son dynamisme était contagieux et Sylvie savait entraîner et motiver ses collègues ainsi que de nombreux étudiants du Nord et du Sud qui sont devenus maintenant des partenaires incontournables des travaux scientifiques en Afrique centrale.
Ses publications (plus de 200 articles, chapitres d’ouvrage et documents techniques) et ses conférences démontrent l’importance de sa contribution en écologie et en aménagement des forêts tropicales d’Afrique centrale. Sylvie laisse un énorme vide dans la communauté scientifique des écologues forestiers tropicaux et, en sa mémoire, tous ses collègues s’intéressant aux forêts tropicales continueront son combat mené pendant plus de 30 ans pour la conservation des forêts tropicales d'Afrique centrale et du monde en général.
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