La Guinée-Conakry est, dans les années 1950, un des fleurons de l’Union française grâce aux considérables richesses humaines, agricoles, minières, et touristiques qu’offrent ses régions si variées et si pleines d’attraits. Nul doute qu’elle va constituer l’un des piliers de la grande Communauté franco-africaine imaginée par le général de Gaulle.
Le référendum du 28 septembre 1958 vient en décider autrement. Le « non » au partenariat avec la France, prôné par Hamed Sékou Touré alors vice-président du conseil de gouvernement, est massif. L’indépendance de la République de Guinée est déclarée le 2 octobre, en même temps que Sékou Touré en devient le premier président. Mais la rupture avec la France est brutale. Le retrait des Français, ordonné par le général et bien encouragé par le jeune président, est quasi immédiat. Le vide créé est profond.
Sékou Touré se doit alors de tisser d’urgence de nouveaux liens politiques, économiques, financiers. Le monde soviétique, dont le régime le séduit depuis longtemps, l’accueille bien volontiers et lui offre son aide, en substitution à celle de la France ainsi à la fois suspendue et rejetée. De nombreux experts sont dépêchés de Moscou à Conakry pour inventorier, outre les besoins en coopérants et conseillers des appareils politiques et administratifs d’État, les principales catégories d’équipements, matériaux, produits, etc. dont la rupture avec la puissance colonisatrice a provoqué la pénurie. Très rapidement le grand Camarade inscrit dans ses plans à cinq ans leur fabrication. Et leur livraison fait bientôt apparaître les premiers cargos battant pavillons de l’Est dans la baie de Conakry.
Ici n’est cependant pas le propos de traiter de l’ensemble de cette manne qui va nourrir, sinon révolutionner, l’économie guinéenne, mais seulement d’en extraire deux catégories de matériels qui vont remarquablement contribuer à la réhabilitation de son réseau routier, quelque peu négligé dans la tourmente politique de l’indépendance :
• Des chasse-neige.
Les experts soviétiques ont naturellement été avertis que l’arrière-pays guinéen était montagneux et ont logiquement inscrit ce type d’engin, afin d’éviter toute obstruction hivernale des voies d’évacuation des précieux produits de ces régions.
La neige s’étant toutefois délibérément abstenue de tomber sur les sommets du fouta djalon, les ingénieurs et techniciens guinéens des travaux publics n’en trouvent pas moins, dans le profilage et le planage des pistes, une très judicieuse utilisation de ces mastodontes socialistes, remplaçant ainsi avantageusement les graders capitalistes américains.
• Des équipements sanitaires hôteliers.
Il n’a en effet pas non plus échappé aux camarades soviétiques que la Guinée était un pays à grande vocation touristique, aux sites célèbres : des centaines de kilomètres de côtes aux estuaires impressionnants et aux villes fleuries, accueillantes ; les montagnes du Fouta et leur station climatique de Dalaba ; les massifs forestiers de l’Est, dont la fameuse réserve des monts Nimba, etc.
Nul doute que le réseau hôtelier se doit d’être à la mesure de cette exceptionnelle vocation, et ce jusque dans le raffinement de son accueil. Aussi sont inscrits en bonne place, dans les fournitures à importer, des ensembles sanitaires : douches, baignoires, bidets. Les accessoires de douche connaissent naturellement un très facile placement, alors que celui des baignoires demande plus d’initiatives : leur destination première intéresse sans doute une clientèle déjà avertie, mais encore peu nombreuse. Aussi d’autres utilisations doivent-elles être rapidement trouvées, par exemple dans le stockage de nombreuses denrées, voire comme abreuvoirs pour les animaux, etc.
En revanche, les bidets posent un problème… de fond, n’ayant guère jusqu’alors pénétré les habitudes guinéennes. Mais là aussi les planificateurs et techniciens guinéens vont trouver une très élégante solution pour placer ces appareils éclatants de blancheur, qui au demeurant s’entassent sur les quais de Conakry : chacun sait, en effet, qu’il est très difficile en URSS d’arrêter une chaîne de fabrication à programmation quinquennale. Les bidets, fort visibles de loin, vont très avantageusement remplacer les bornes kilométriques disparues ou absentes le long des routes et pistes, pour le plus grand confort des conducteurs guinéens.
Ainsi grâce à la grande Russie, la jeune république de Guinée peut, pour un temps, rendre ses routes plus sûres et bien mieux signalées : nouvelle preuve de l’efficacité d’une aide bien coordonnée.
Montpellier, février 2014
René Tourte
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