Présentation d’ouvrage par Robert Schilling
Osons dire la vérité à l’Afrique
Bernard Lugan
Éditions du Rocher
avril 2015, 218 p.
Bernard Lugan dénonce l'optimisme d' « experts » qui mentent à l'Afrique, lui faisant croire qu'elle a « démarré » parce que le taux de croissance du PIB africain est supérieur à celui du reste du monde (respectivement 4,7 % et 3 % en 2013).
Le signe de ce " démarrage " serait l'émergence d'une classe moyenne africaine qui compterait 370 millions de personnes en 2014, soit le tiers de la population totale. Selon la Banque africaine de développement (BAD), cette classe moyenne se définit par un revenu compris entre 2,2 et 20 dollars par jour, variant de 1 à 10 ! Or, sur ces 370 millions d'heureux élus, 250 millions ont un revenu journalier situé entre deux et quatre dollars, soit juste à la limite supérieure de l'indigence. En 2014, plus de la moitié du continent, soit 600 millions d'habitants, vivait avec moins de 1 euro par jour. Les investisseurs ne s'y trompent pas : en 2012, le total des investissements étrangers directs (IED) fut de 1351 milliards de dollars, dont 50 milliards pour l'Afrique, soit 3,7 % du total, à peine plus que la petite Suisse (44 milliards). De plus, ces investissements sont concentrés sur les 5 pays d'Afrique du Nord, ce qui fait que les 45 pays sud-sahariens en sont quasiment exclus, à l'exception de l'Afrique du Sud, de l'Angola et du Nigeria. Nous sommes là au cœur des errements de ceux qui parlent de ce continent sans le connaître autrement qu'à travers des statistiques et des indicateurs économiques abstraits. La situation réelle est encore plus alarmante si l'on prend en compte l'effarante démographie du continent : dans les 29 pays africains dits moins avancés (PMA), le pourcentage de la population vivant avec moins de deux dollars par jour est passé de 82 % à la fin des années 1960 à plus de 90 % aujourd'hui. Le taux d'urbanisation de l'Afrique est un facteur d'aggravation : de 40 % en 2013, il passera à plus de 60 % en 2050. L'Afrique sera alors un univers de bidonvilles, pôles de déculturation, de pauvreté et de violence, antichambres de l'émigration.
Qu'en est-il de l'aide publique au développement (APD), alors que le continent a reçu près de 2000 milliards de dollars de 1960 à 2010, soit vingt fois plus que le plan Marshall qui a permis à l'Europe de se reconstruire au lendemain de la seconde guerre mondiale ? Cette aide est volatile : depuis les années 1970, ce sont au moins 400 milliards de dollars qui ont quitté l'Afrique, soit près du double de la dette du continent. L'APD, en fait, alimente la dette (et la corruption) et n'a guère eu de résultat sur le terrain. Elle a littéralement infantilisé les Africains en les déresponsabilisant. Les principales crises africaines sont en effet structurelles et elles ont une origine historique, politique et culturelle. Elles ne sauraient être résolues par l'approche exclusivement économique et humanitaire de l'APD, qui a conduit les bénéficiaires et les responsables africains à considérer cette manne comme une ressource pérenne qu'il suffit de solliciter en élaborant des « projets » en accord avec les « priorités » et les normes édictées par les bailleurs de fonds étrangers. Les « projets » construits sur ces bases artificielles ne durent généralement qu'autant que dure le financement qui les a fait naître, faute d'être issus d'une demande authentique des populations et d'avoir pris en compte les spécificités et les mentalités africaines. Les modèles de développement importés ont largement échoué à résoudre les problèmes de l'Afrique, qui ne relèvent pas prioritairement de la rationalité économique. Le développement mimétique a fait faillite, la greffe n'a pas pris. Les échecs de l'Afrique sont toujours imputés, de manière incantatoire, à l'esclavage, à la colonisation et à l'exploitation capitaliste. Il s'agit de culpabiliser les opinions publiques des pays donateurs, pour les inciter à la générosité, mais depuis la fin de la guerre froide, qui permettait à l'Afrique de jouer sur la rivalité entre les deux blocs, cette stratégie est de moins en moins efficace... La Chine, premier partenaire commercial de l'Afrique depuis 2009, sans l'ombre d'un complexe de culpabilité, joue sur le rejet commun de l’« arrogance de l'Occident » de sa prétention à imposer ses diktats moraux et ses règles de bonne gouvernance (démocratie, écologisme, droits de l'homme). La coopération sino-africaine relève en fait d'une économie de comptoir revisitée, limitée aux pays fournisseurs des matières premières dont la Chine a besoin. En 2014, 85 % du commerce Afrique-Chine se fit avec cinq pays, dans l'ordre décroissant l'Angola, la Guinée équatoriale et le Nigeria (pétrole), la République démocratique du Congo (minerais) et le Soudan (pétrole). En sens inverse, la stratégie d'investissement et d'exportation de la Chine contribue à désindustrialiser des pays africains moyennement développés, ce qui provoque des réactions de rejet de plus en plus violentes opposant populations africaines et ouvriers et techniciens chinois présents en grand nombre.
« Pas de solution sans vérité », déclare l'auteur. Il voit dans la démographie galopante, qui annule tous les résultats du développement, le premier problème du continent. L'Afrique voit sa population augmenter de 3 % par an, ce qui entraîne un doublement tous les vingt ans, alors que les productions agricoles africaines n'ont augmenté que de 45 % depuis 1960. Les Africains (environ un milliard aujourd'hui) seront plus de quatre milliards en 2100, soit un tiers de la population mondiale, sans que l'on puisse apercevoir les prémices d'une régulation. Le deuxième point abordé par Bernard Lugan est celui de la définition de l'État qui, sous ses formes actuelles, ne tient aucun compte des réalités ethniques. Le principe démocratique du « one man, one vote » conduit dans une impasse car les électeurs africains votent le plus souvent pour les candidats de leur groupe ethnique, ce qui transforme les élections en simples recensements ethniques qui reconduisent au pouvoir les ethnies les plus nombreuses. Même l'histoire contemporaine de l'Afrique s'écrit autour des ethnies, ce que nient certains anthropologues. L'Afrique subit un véritable « diktat démocratique » (le Président Mitterrand en fit une condition de l'aide), ce qui entraîna certes la fin des régimes de parti unique, mais instaura une ère d'anarchie, voire de dislocation. Écartés du pouvoir par la loi des urnes, les peuples minoritaires n'ont alors le choix qu'entre la soumission ou la révolte. Le troisième point est celui du credo de la victimisation africaine et la culpabilisation européenne. Pour résumer ce thème, récurrent dans tout l'ouvrage, l'auteur cite un journaliste Nigérian : « Nous sommes devenus experts à éveiller la conscience de nos anciens maîtres coloniaux. Parlons net, nous avons exercé un chantage infernal sur l'Europe occidentale. C'est un procédé tellement merveilleux pour se procurer l'aide étrangère (...) Le temps est venu pour l'Afrique de devenir adulte ». En fait de « pillage colonial », jusqu'à ces dernières années, les pays les plus riches et les plus développés étaient au contraire ceux qui n'avaient jamais eu de colonies ou qui les avaient perdues tôt, alors que la France et la Grande-Bretagne, qui furent les deux principales puissances coloniales, sont à la traîne. Les colonies furent un boulet pour notre économie : pour soutenir le cours de ses productions coloniales, la France déboursa en moyenne 60 milliards par an entre 1956 et 1960. Entre 1954 et 1956, les importations coloniales lui coûtèrent 360 milliards de francs, alors que si elle avait acheté les mêmes produits sur le marché mondial, il ne lui en aurait coûté que 310 milliards. En 1958, 22 % de toutes les importations coloniales françaises étaient constituées par le vin algérien, payé 35 francs le litre alors qu'à qualité égale le vin espagnol ou portugais valait 19 francs.
En conclusion, Bernard Lugan invite Africains et Européens à prendre conscience que la résolution des crises africaines ne passe ni par l'augmentation de la politique d'aide, dont les résultats sont à peu prés nuls, ni par les hypocrites lois du marché, mais par la prise en compte des spécificités du continent. La condition d'un réveil authentique et durable, selon lui, est la maîtrise de la déferlante démographique (décrite en termes malthusiens) et la reconnaissance des fondamentaux ethniques des sociétés africaines, même si l'ethnie n'est pas une fin en soi. Ce postulat étant posé, l'auteur ne propose aucune issue concrète au problème du mal-développement africain qu'il appartient aux Africains eux-mêmes de résoudre. Il lui reste le mérite d'avoir dénoncé les fausses bonnes solutions et d'avoir « osé dire la vérité ».
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