Présentation d’ouvrage par Robert Schilling
Les dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire.
Quand on inventa l’agriculture, la guerre et les chefs
Jean-Paul Demoule
Pendant plus de 99 % de son histoire (depuis l’apparition du genre Homo), l’homme vécut en prédateur de la nature, pourvoyant à ses besoins par la chasse, la pêche et la cueillette. Il y a une douzaine de milliers d’années à peine, survint en plusieurs points du monde une révolution culturelle majeure : l’invention de l’agriculture et de l’élevage, à la faveur du réchauffement climatique qui suivit la glaciation de Würm. Cette « révolution néolithique » vit la population mondiale s’accroître rapidement et mettre en place les fondements des sociétés modernes. Jean-Paul Demoule explore ces « millénaires oubliés » qui ont précédé l’ère historique et tente de reconstituer les circonstances et les modalités de la domestication d’espèces animales et végétales par l’homme. Les conséquences de cette entreprise ne furent pas toutes favorables (régimes alimentaires moins diversifiés, transmission de maladies contagieuses, appropriation privée du sol, etc.). C’est pourquoi certains ethnologues ont plaidé que les véritables sociétés d’abondance furent celles des chasseurs-cueilleurs, qui ne consacraient que quelques heures par jour à prélever une nourriture abondante et variée dans une nature généreuse ! Le mythe du paradis terrestre n’est pas loin. La plus vieille agriculture du monde prit naissance au Proche-Orient, dans une zone allant du Néguev au sud jusqu’au nord-ouest de l’Irak. Là furent notamment domestiqués le blé, l’orge, le porc, le mouton, la chèvre, le boeuf. La domestication du chien et du chat, nos commensaux les plus anciens, fut très antérieure et générale. L’invention de la poterie, au Proche-Orient, fut concomitante de celle de l’agriculture. Les premières techniques agricoles se propagèrent ensuite, soit par des mouvements de population, soit par diffusion progressive, à raison d’une quarantaine de kilomètres par génération en moyenne, pour atteindre l’ouest de l’Europe à partir de - 6000 avant notre ère. Il y eut plusieurs autres centres de domestication : millet, riz, soja, porc, poulet, furent domestiqués en Chine ; banane, igname, taro en Nouvelle-Guinée ; dindon, coton, tabac, maïs, tomate, pomme de terre, tournesol et quelques autres en Amérique ; mil, riz local, sorgho, fonio, niébé, palmier à huile en Afrique sub-saharienne, etc.
L’accroissement démographique et la sédentarisation consécutifs à l’extension de la civilisation agricole entraînèrent l’apparition progressive d’un habitat permanent, différencié, où l’on peut distinguer entre lieux résidentiels, commerciaux, artisanaux, cérémoniels, défensifs, etc. Les sociétés humaines, jusque-là à dominante matriarcale, se masculinisent et se hiérarchisent, adorant des dieux solaires et obéissant à des chefferies en perpétuel conflit pour la possession des terres. Les âges du cuivre, du bronze, du fer voient l’apparition d’outillages et d’armements de plus en plus efficaces dans des communautés de plus en plus inégalitaires. A partir du Ve millénaire, lorsque la colonisation néolithique atteignit l’Atlantique, les communautés européennes devront survivre dans un espace désormais clos ; les terres sont à présent comptées et l’on marque son territoire. Les actes de violence (pointes de flèches fichées dans des vertèbres) se multiplient, les villages puis les villes se fortifient. Les statuettes féminines se raréfient, à la place apparaissent des figurations viriles. C’est l’ère de la guerre, indissociable de l’émergence des chefs, puis des villes, des Etats et des empires. Nous y sommes encore.
L’auteur est professeur émérite à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a présidé l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives). Il se rallie sans réserve aux positions orthodoxes du moment sur un certain nombre de sujets sensibles, que d’ailleurs il n’approfondit pas. Citons, parmi ces idées reçues : les races humaines n’existeraient pas – ce qui ferait de notre espèce une exception unique et inexplicable ; Homo sapiens, l’ancêtre de tous les hommes actuels, viendrait d’Afrique et nous ne serions que des Africains dépigmentés ; la notion de peuple indo-européen créateur d’une civilisation dont la nôtre serait issue reposerait sur une hypothèse hautement improbable ; la Gaule ne serait qu’une entité géographique et il n’y a pas de peuple gaulois ancêtre d’un peuple français ; l’immigration actuelle en France ne serait que la continuation de flux incessants qui ne se sont jamais taris depuis des millénaires, etc. A chacun d’exercer son esprit critique et de lire entre les lignes…
Commentaires
C’est sur le plan culturel que le concept de race à un sens. Ce concept amène à regrouper les individus ayant la même apparence selon des classes différentes (on parle maintenant de morphotypes). C’est une démarche intellectuelle de classification phénotypique. Parfois, cela concerne aussi des aptitudes similaires partagées. Les races découlent donc d’activités humaines travaillant à leur reconnaissance puis à leur maintien. Sans pression de sélection ou si on laisse faire la « nature », elles disparaissent. La prise de conscience de leur existence est récente. Elle s’est dégagée intellectuellement au fur et à mesure de la formalisation des méthodes de sélection. Dans ce contexte, je ne mets pas sur le même plan le sujet des races et ceux mis en avant par Robert Schilling (la question des origines africaines des Homo sapiens, l’existence des indoeuropéens ou du peuple gaulois,…) qui peuvent s’aborder comme des faits historiques ayant laissé des traces matérielles sur lesquelles on peut se pencher scientifiquement.