Présentation d’ouvrage par Robert Schilling
La palme des controverses
Alain Rival et Patrice Levang
Editions Quae, collection Essais
2013, 102 pages
Le palmier à huile est au centre d'un débat biaisé entre les opérateurs de l'agro-industrie au Nord et les planteurs tropicaux, d'une part, et d'autre part certaines organisations non gouvernementales (ONG) environnementalistes et indigénistes, usant d'arguments fortement teintés d'idéologie, qui dénoncent les risques écologiques et nutritionnels présentés par cette filière. Les médias font usage de raccourcis rapides (palmier égal déforestation, huile de palme égal malbouffe, agro-industrie égal exploitation des petits exploitants) auprès de consommateurs et de décideurs politiques mal informés.
Il demeure que la demande en corps gras devra doubler d'ici 2050 et qu'à superficie égale, le palmier à huile, qui assure 39 % de la production d'huile végétale, produit huit fois plus d'huile à l'unité de surface que le soja pour un coût de production inférieur de 20 % – signalons toutefois que le soja est cultivé principalement pour ses protéines, l'huile de soja n'étant qu'un produit secondaire de la trituration. Plus de la moitié de l'huile de palme est produite par des petits planteurs. Les concessions forestières sont généralement accordées aux exploitants du bois, et les surfaces déboisées par eux ne sont ensuite que partiellement reconverties en palmeraies. Sur les 21 millions d'hectares de forêts primaires qui ont disparu en Indonésie entre 1990 et 2005, trois millions seulement correspondent à la création de palmeraies ; 30 % notamment à Bornéo du fait de l'installation massive de migrants. Malaisie et Indonésie totalisent 87 % des approvisionnements, destinés pour 80 % à l'agroalimentaire : l'huile de palme se substitue au beurre, au saindoux et au suif dans de nombreuses industries de transformation, pour des raisons organoleptiques et technologiques diverses. En Afrique, les palmeraies naturelles du Golfe de Guinée sont en fait semi-domestiquées, l'espèce étant protégée et complantée au sein de systèmes complexes. Diverses « mosaïques paysagères » et autres méthodes d'intégration dans le milieu naturel ont été proposées, mais leur rendement est évidemment très inférieur à celui des plantations industrielles ; la plus grande marge de productivité est à attendre d'une intensification des méthodes de production mettant en œuvre du matériel végétal amélioré, des techniques culturales plus performantes et une fumure raisonnée incluant la restitution au sol des résidus de récolte. Rappelons que la consommation d'intrants chimiques (engrais, pesticides) du palmier à huile, rapportée à la tonne d'huile produite à l'hectare, est très inférieure à celle des oléagineux annuels. A cet égard, le potentiel de progrès est énorme et la préservation de la forêt primaire en dépend, en Afrique mais également en Malaisie et en Indonésie.
Le palmier à huile est toujours considéré comme un facteur de développement par les communautés villageoises asiatiques qui rêvent de routes goudronnées, d'électricité, d'adduction d'eau, d'écoles et de dispensaires... « Vivre en harmonie avec la nature en chassant et en collectant des produits forestiers, loin des sollicitations du monde moderne », comme le préconisent les belles âmes dans les pays du Nord, est un rêve de citadin occidental nanti, pas de « bon sauvage ». Lorsque les démarcheurs des compagnies viennent proposer aux petits propriétaires une source de revenus régulière et élevée, des emplois salariés, des infrastructures modernes, la fourniture d'intrants et la garantie d'écoulement de la récolte, « ils ne forcent la main à personne mais répondent à une demande réelle »... Même si le rêve tarde parfois à se réaliser : 30 % des revenus sont ponctionnés pour rembourser l'emprunt, et il faut attendre sept ans pour que la plantation entre en plein rapport. Les impatients qui auront vendu leur parcelle avant cette échéance se trouvent souvent floués, dans un contexte de pression démographique croissante. Les conflits qui surviennent alors ne sont pas imputables au palmier à huile, mais relèvent d'un défaut d'information et d'une saine gestion financière et sociale de la filière. Il demeure qu'à Sumatra (Indonésie), le revenu à l'hectare sur le cycle complet de plantation s'élève à 2 100 euros pour le palmier à huile, contre 200 euros à l'hectare pour une rizière ; 36 euros par jour de travail pour le palmier, contre 1,7 euro pour le riz irrigué.
Au plan nutritionnel, les acides gras saturés que contient l'huile de palme ne sont pas le poison absolu que l'on nous présente parfois. Ils permettent de stocker et de concentrer l'excès d'énergie apporté par nos aliments. Les problèmes surviennent lorsqu'il y a surconsommation et donc accumulation des réserves corporelles inutilisées. Rajouter de l'huile de palme à un régime alimentaire trop riche et à un style de vie par trop sédentaire n'est évidemment pas à recommander. En France, l'huile de palme contribue, dans le pire des cas, à un kilogramme sur les 50 kilos de graisses saturées ingérés annuellement par nos compatriotes sous forme de plats surgelés, snacks et autres produits industriels... Il ne tiendrait qu'à nous d'en réduire la consommation. Cet apport est stabilisé, voire en régression dans les pays du Nord alors qu'il est en forte croissance dans les pays émergents où l'obésité progresse. Les normes d'une huile de palme « certifiée durable » ont été établies et 1,3 millions d'hectares ont été certifiés, soit 10 % de la surface mondiale plantée, mais ces normes, qui ne sont que rarement intégrées dans les règlementations nationales, ne protègent tant soit peu que le consommateur. Les problèmes de propriété foncière, d'accaparement des terres, de respect des droits coutumiers, ne sont pas pris en compte.
En conclusion, le rôle du palmier à huile dans l'éradication de la pauvreté dans les pays tropicaux paraît incontournable. Il n'est plus question de stopper l'expansion du palmier à huile mais de la contrôler intelligemment, en intégrant l'intensification raisonnée des méthodes de production et la préservation du domaine forestier et de la biodiversité qu'elle abrite. L'application contrôlée des normes de qualité et l'intégration des petits planteurs aux complexes agro-industriels, par des contrats de production et par des mesures de soutien à l'agriculture villageoise, devront être développées.
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