Alors que le mot Sahel évoque pauvreté et désertification, ne faut-il pas un certain aplomb pour le présenter sous un jour qui évoque le paradis ! L’auteur pourtant n’est ni un idéaliste, ni un rêveur, mais un scientifique et un pragmatique, alors aurait-il des recettes magiques que nous ignorions ? Nous avons hâte d’en savoir plus. Dès le début de l’ouvrage, il dévoile ses idées-forces. Pas de potion magique, mais un objectif − son credo ! − : « produire sans dégrader et développer sans exclure » et un moyen : l’agroécologie, pas celle qui procède de la croyance mais celle scientifiquement et socialement fondée, est décrite et expérimentée par l’auteur et bien tangible, d’autant qu’il nous l’explique dans un langage simple et accessible, sur un ton drôle et mordant. Le livre se compose de trois grandes parties.
La première partie est consacrée aux déterminants du développement durable au Sahel, géographiques, biologiques et agro-socio-économiques. Les recherches ont démarré au Nord du Burkina Faso en 1973, au début des années « sèches », pour mettre en oeuvre des pratiques agricoles adaptées. L’agronomie classique montre vite ses limites. Alors émerge l’agroécologie qui repose sur cinq thèmes :
- l’optimisation des ressources hydriques obtenue par la lutte contre le ruissellement. Pour cela, la primauté est accordée à l’équipement (la kassine au Burkina Faso) ce qui fait dire plus loin à l’auteur que le machinisme agricole aurait dû primer sur la génomique ;
- l’optimisation des « bio-nutriments », N et P en particulier, obtenue respectivement par l’accroissement de la fixation symbiotique de N2 et par la fabrication locale de phospho-composts ;
- l’accroissement de la teneur en matière organique des sols obtenu par l’apport de composts (fumiers compostés notamment) et l’agroforesterie ;
- le développement des biopesticides et le contrôle biologique des ravageurs, mais il reconnait que leur efficacité demeure à ce jour insuffisante et préconise un rapprochement avec les agriculteurs cubains que le blocus américain a contraint à imaginer des pratiques sans produits chimiques ;
- la gestion territoriale. Elle est indispensable pour maîtriser l’économie de l’eau, donc l’érosion et le ruissellement, ainsi que la gestion agraire, notamment le droit d’usage des terres, et aussi pour restaurer la biodiversité naturelle en raison de son intérêt économique et de son rôle dans la lutte contre les ravageurs.
Après l’étude de ces thèmes, l’auteur fait le point sur leur application aux cultures vivrières et maraichères en adoptant un plan qui accrédite une présentation « honnête » et constructive : résultats expérimentaux locaux ; conditions à remplir pour le changement d’échelle ; besoins de connaissance.
Il met en avant le rôle des ONG en partenariat avec les organismes publics tels que l’Arfa (Association pour la recherche et la formation en agroécologie) et le rôle des femmes. Il soutient le progrès technologique s’il apporte des résultats qui répondent à l’objectif fixé : « produire sans dégrader et développer sans exclure ». Sur ce dernier point, citons par exemple l’inoculation des composts par les trichodermes dans des ateliers privés de production répartis dans le territoire, inoculation qui permet de raccourcir le temps de compostage donc d’économiser l’eau, en même temps qu’améliorer la qualité biochimique du compost. Notons que cet avantage tiré du « privé » n’est sans doute pas étranger à sa critique du socialisme évoquée plus loin. La gestion agroécologique intègre l’élevage ; la forte régression des « communs » (zones de pâturage) amène l’auteur à conclure à l’urgence d’une révolution fourragère. En conclusion, pour répondre à la nécessité des territoires de supporter des densités élevées de population comme de bétail, et prendre en compte la diversité géographique et agricole des terroirs sahéliens, l’auteur propose la création d’un programme régional du Sénégal au Niger, en passant par le Burkina Faso, la Mauritanie et le Mali, en évalue le coût, les responsabilités et les sources de financement.
La deuxième partie est consacrée aux enseignements que l’auteur tire de 60 ans de vie professionnelle sur trois continents, scindée en cinq périodes, de 1957 à 2016, chacune analysée sous quatre angles complémentaires : l’exercice du métier, le contexte institutionnel, le contexte géopolitique, les amitiés. On y découvre d’abord le récit captivant de sa vie professionnelle, puis des informations sur l’évolution de la recherche agronomique et de l’enseignement agricole en France, sur le rôle de l’éducation en Afrique, et sur le développement rural en Amérique, Asie, Afrique et Europe.
René Billaz, contemporain de la période de décolonisation, nous livre ici un témoignage historique sur « la fin de l’empire colonial français » et ses conséquences géopolitiques. Il fait le constat des limites de l’agronomie conventionnelle, du retard et de l’insuffisance des idées et des institutions, justifie « le besoin d’agroécologie » et forge sa conviction que « la révolution verte n’est pas faite pour les déshérités ». Il dénonce les freins à l’émergence de cette agroécologie tels que la domination de la génomique « qui induit de graves effets collatéraux comme le recul de la biologie des sols et l’extinction du machinisme agricole ». Il souligne le rôle des amitiés, moteur des convictions et de la joie de vivre.
La troisième partie est une discussion-conclusion épistémologique qui répond à la question posée : peut-on relever le défi de « produire plus sans dégrader et sans exclure » ?
L’auteur répond oui clairement, mais il faut :
- abolir les méthodes improductives comme la démarche « descendante » classique, l’« administration de la preuve », en y substituant d’autres méthodes telles que la recherche-action adaptée, reposant sur l’expérimentation multilocale impliquant les ONG formées et organisées à cet effet ;
- prioriser certaines disciplines comme la biologie du sol ;
- faire admettre les produits de l’agroécologie sur les marchés urbains ;
- opérer deux révolutions : la révolution fourragère et la révolution des idées reçues « qui ont la vie dure », par exemple cette attitude du « scientifiquement correct » qui priorise la génomique et déconsidère le machinisme agricole sans que personne ne s’insurge !
Ensuite, l’auteur nous livre sa pensée politique en rapport avec la mise en oeuvre de l’agroécologie. Lui, le « socialiste viscéral », explique sa désillusion devant l’impéritie de la gauche française qui aurait dû encourager l’entreprise privée.
Malgré les obstacles et les déceptions, dans une vision quasi biblique, l’auteur affirme sa confiance dans la synergie créatrice entre « Dame nature », « science » et « lien social », les trois composantes de l’agroécologie.
A noter que la version numérique contient des documents en annexes qui ne figurent pas dans la version papier : textes complémentaires, présentations sous forme de diaporamas, de galeries de portraits
Ajouter un Commentaire