Présentation d’ouvrage par Jacques Chantereau
A quoi pensent les plantes ?
Jacques Tassin
Editions Odile Jacob
octobre 2016, 155 pages
Notre collègue Jacques Tassin a écrit l’ouvrage A quoi pensent les plantes ? Il nous révèle que les hommes se sont posé cette question dès l’Antiquité avec les philosophes grecs. Elle a été reprise plus tard à la Renaissance et aux siècles suivants par des scientifiques, des écrivains, des poètes que l’auteur cite avec érudition. La diversité de leurs réflexions met en avant la difficulté d’apporter une réponse. Jacques Tassin fait valoir combien il est ardu de caractériser le monde végétal en y appliquant notre perception anthropomorphique de l’environnement ou en nous référant au monde animal. En fait, la plante se caractérise mal en termes d’individu. A mesure qu'elle croît, ses contours deviennent difficiles à cerner car ils s'imbriquent dans ceux de ses congénères ou organismes à son contact. Son intériorité est pauvre organiquement. Sa symétrie de nature radiale la tourne vers une exploitation multidirectionnelle de son environnement aérien et souterrain. Ses potentialités de croissance indéfinie avec la totipotence de ses cellules font qu’elle échappe au sort d’une mortalité inéluctable. Nous découvrons aussi combien des caractéristiques comme le déplacement, la souffrance, la vitesse sont apparemment étrangères au monde végétal. Pourtant les plantes ne sont pas dénuées de sens. Elles sont sensibles aux radiations lumineuses et à leurs variations, elles perçoivent des signaux chimiques, les courants aériens, les agressions des prédateurs et elles y répondent à leur manière, essentiellement par de spécifiques et d’originales synthèses moléculaires. Faute de cerveau et de circuit neuronal, elles doivent pallier l’absence d’influx nerveux et de réaction musculaire. Elles y parviennent en sortant de leur champ de perception, ce qui est du domaine d’une matérialité passagère et non tangible. Dans ce contexte, les plantes ne sont pas dénuées de mouvements et de modifications de développement mais ceux-ci sont limités et répondent à des rythmes principalement solaires, lunaires et saisonniers.
L’étrangeté des plantes ne s’arrête pas à ce qui fait leur identité propre mais concerne aussi leurs relations avec le monde vivant. Jacques Tassin rappelle d’abord que les chloroplastes et les mitochondries sont le résultat d’intégrations intracellulaires végétales fort anciennes de micro-organismes étrangers. Il présente également les associations symbiotiques souterraines avec des bactéries fixatrices d’azote et celles avec les champignons qui participent à des échanges nutritifs réciproques. L’auteur décrit enfin d’autres interactions fort subtiles et encore peu documentées entre les plantes et les insectes, les oiseaux, les mammifères voire l’homme – à son insu. Ces interactions visent à l’équilibre et aux bénéfices réciproques de leurs acteurs. En ce qui concerne les végétaux, elles servent à leur défense, fécondation, dissémination. Elles rendent compte de leur capacité de communication et de leur aptitude à des jeux d’alliances qui cadrent mal avec une vision darwinienne de compétition entre organismes. On pressent alors que bien des découvertes profitables à l’agroécologie sont à faire.
Pour ma part, je retiens du livre de Jacques Tassin, l’originalité du regard et la profondeur de pensée. Celles-ci sont servies par l’habilité de l’auteur à illustrer son propos d’une multitude d’exemples et à faire référence à des connaissances et des sensibilités variées. A la lecture, nous mesurons notre grande méconnaissance des plantes alors que, selon l’auteur, elles représentent plus de 99 % de la masse vivante et qu’elles fixeraient annuellement 100 milliards de tonnes de carbone. Par cette prise de conscience, Jacques Tassin nous invite à nous poser nous-mêmes la question « A quoi pensent les plantes ? » et à donner nos propres réponses. Comme il l’écrit « l’approche du végétal nécessite… autant de poésie et d’intuition que de science et de raison… ». Ainsi que la pratique l’auteur dans son ouvrage, la démarche débouche alors sur d’autres interrogations plus précises qui contribuent à mieux cerner la beauté, le ressenti et le fonctionnement du monde végétal.
Ajouter un Commentaire