Jacky Ganry nous a quittés le 4 février 2013. En hommage à son dévouement absolu aux valeurs portées par le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et son engagement à faire progresser sans relâche la connaissance des filières horticoles, en particulier celle de la banane, une plaque commémorative a été posée sur un bâtiment de la station de Neufchâteau (Guadeloupe) le 16 avril 2018.
A cette occasion, François Côte, directeur du département Cultures pérennes du Cirad et ancien chef de l’unité de recherche Fonctionnement écologique et gestion durable des agrosystèmes bananiers et ananas, a prononcé un discours d’hommage rédigé par Jean-Pierre Gaillard.
Chers collègues, chers amis, chère Anne-Laure,
C’est en qualité d’ancien directeur du département Flhor du Cirad, d’ancien président de l’Amicale des anciens du Cirad (Adac) mais surtout en qualité de collègue proche et d’ami reconnaissant que j’ai accepté d’écrire ces quelques propos suite à la sollicitation de François Côte qui aujourd’hui me fait l’honneur de les lire à ma place au cours de cette cérémonie d’hommage à Jacky Ganry.
La pose d’une plaque mémorielle dédiée à Jacky Ganry est pour moi l’aboutissement concret d’une requête que j’ai introduite voici quatre ans auprès du président-directeur général du Cirad ; c’est aussi la reconnaissance officielle de l’établissement de la carrière professionnelle exemplaire du responsable scientifique visionnaire, de l’homme dévoué, humaniste qui a œuvré toute sa vie active au service de la recherche agronomique sur les filières fruitières et horticoles tropicales. Je rappelle que j’avais engagé cette démarche avec l’approbation d’anciens directeurs de la station ou de directeurs régionaux du Cirad tels que Alain Darthenucq, Philippe Melin, Jean-Jacques Baraer, Claude Vuillaume, Marc Dorel, Emmanuel Camus, Hubert Manichon, Philippe Godon. Le choix de la station de Neufchâteau, en Guadeloupe, revêt une signification à la symbolique particulière, car au regard de la notoriété internationale de Jacky Ganry on aurait pu imaginer qu’une cérémonie comme celle-ci put se dérouler au Cirad à Paris, à Montpellier, au siège de l’Académie d’agriculture à Paris, au Carbap au Cameroun, à l’Avrdc à Taiwan, à l’Ibgri à Rome, à l’ISHS aux Pays-Bas, où sais-je encore. Le meilleur honneur qu’on pouvait faire à Jacky, c’est ici où il a laissé une empreinte singulière en ce haut lieu de la recherche française sur les bananiers dans un environnement professionnel antillais qui n’a rien oublié de l’œuvre du scientifique dont le souci de l’impact de ses recherches sur le développement ne leur pas échappé.
C’est ici à Neufchâteau, fin 1969, que Jacky a commencé à faire valoir son diplôme d’ingénieur agro de Paris- Grignon puis s’est spécialisé en bioclimatologie à l’Inra de Versailles avant d’être recruté définitivement par l’Irfa et réaffecté ici, en 1971, sous la direction locale d’Hubert Guyot et l’autorité scientifique de Jean Champion, chef du programme bananier. C’est ici qu’il a engagé ses travaux de recherche sur la croissance du bananier qui l’ont conduit à soutenir brillamment une thèse d’Etat (la seule dans le programme). C’est encore ici que, déjà conscient à l’époque que le processus de lutte chimique systématique contre les cercosporioses du bananier conduisait à une impasse économique et environnementale, il a développé par ses recherches innovantes une nouvelle démarche de lutte sur la base d’avertissements biologiques et climatiques largement utilisée par la profession antillaise puis africaine et enviée par les producteurs latino-américains. C’est enfin lui qui a soutenu ici le premier programme de création variétale de bananiers résistants aux cercosporioses. La notoriété scientifique de Jacky dont les bases ont été construites en Guadeloupe s’est largement développée à l’ensemble des pays producteurs de bananes dessert et plantains quand il a exercé de 1982 à 1992 la charge de chef du programme bananier de l’Irfa puis du Flhor donc du Cirad à la suite de Jean Champion. Il a construit une équipe pluridisciplinaire solide organisée en réseau entre la Guadeloupe, la Martinique, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Costa Rica, la Colombie, le Maroc, le Sénégal. Face aux doutes et aux hésitations, il opposait la rigueur scientifique et ne supportait pas la médiocrité. Il a été, avec Hugues Tézenas du Montcel et le professeur de Langhe, à l’origine de la création de l’Inibap puis, avec André Lassoudière, de celle du CRBP-Carbap au Cameroun. Jacky a rapidement compris que la recherche, y compris avec un volet fondamental, était un puissant moteur de développement. Pour ce faire, il a su avec talent construire des partenariats avec l’Inra, les Universités, le Cnrs, l’Université de Louvain et de Wageningen, les CNRA du Sud et faire apprécier son expertise par les organisations professionnelles de la banane, françaises et étrangères. Il avait une aptitude particulière à transformer les problématiques exprimées à différents niveaux des filières en questions de recherche pertinentes. Cette notoriété et ce savoir-faire n’ont pas échappé à la direction du département Flhor qui l’a nommé, en 1993, directeur adjoint chargé des affaires scientifiques. A ce titre, il a appliqué ses méthodes de management aux autres programmes, imprégnées d’un esprit d’anticipation d’une grande efficacité et clairvoyance. C’est ainsi que Jacky s’est fait reconnaitre et apprécier par des organismes et structures internationales telles que l’AVRDC, l’ISHS, l’IBGRI, la FAO, l’ECART, l’EFARD, le GFAR, la GLOBALHORT, autant de sigles parlant aux scientifiques ici présents auxquels on pourrait ajouter les organisations professionnelles antillaises, africaines, l’Acorbat, les Cafeteros et quelques autres sans oublier la commission européenne (DG 8 - DG12 - Coleacp) qui a financé de nombreux programmes de recherche. Par ailleurs, il s’est fortement impliqué dans l’agriculture périurbaine et sur les activités de recherche relevant de la qualité de l’alimentation et de la nutrition. Pour terminer cet éloge, j’ajouterai qu’il a été le sauveur de la revue « Fruits » en la portant au rang A avec facteur d’impact.
Tous les témoignages des personnalités du monde scientifique et du développement qui se sont exprimées lors de sa disparition prématurée en 2013 confirment mon analyse et justifient pleinement l’hommage qui lui est rendu aujourd’hui.
Jacky Ganry n’avait qu’une seule ambition : servir avec efficacité et modestie le noble mandat du Cirad et la lutte contre la pauvreté. Le message de cette plaque mémorielle doit être pour les anciens, mais surtout pour les jeunes, un rappel d’exemple d’une réussite jamais totalement aboutie mais dont la station de Neufchâteau et ses personnels sont détenteurs.
Entre les deux dates de cette vie écourtée, il y a au-delà de ce que ma mémoire érodée a retenu, des dizaines de publications scientifiques, autant de communications à des congrès, autant d’expertises, une vision construite du futur parfois dérangeante ou incomprise. Il y a aussi une culture d’entreprise sans chapelles, ouverte à de nouveaux partenariats et une cohérence d’action par le recrutement de jeunes talents qui font de brillantes carrières au Cirad et qui peuvent encore témoigner de la chance qu’ils ont eu d’avoir pour référent Jacky Ganry.
Je terminerai mon propos en saluant sa fille Anne Laure née en Guadeloupe et précisément dans cette station, en remerciant Michel Eddi d’avoir donné son accord pour cette forme d’hommage et à François Côte et Dominique Martinez qui l’ont concrétisé. Enfin pour mon dernier salut à mon ami, je lui adresse ces mots de St Augustin philosophe scientifique déjà prononcés lors de son départ en retraite « Le présent n’est qu’un point fugitif mais ce qui dure c’est l’attention vers le passé et de ce que du présent nous ferons l’avenir. »
Jacky Ganry reste pour moi et l’Amicale des anciens du Cirad l’un de ceux et celles qui ont marqué durablement l’histoire du Cirad et la communauté scientifique internationale attachée au progrès social et économique de l’outre-mer français et des pays du Sud. Chers collègues du Cirad résidant en Guadeloupe, lorsque vous passerez devant cette plaque, rappelez-vous que Jacky Ganry était un homme d’honneur porteur de vos valeurs et pour vous Anne Laure, qui êtes éloignée de sa sépulture en Savoie, il est désormais un peu plus proche. Merci pour lui et sa famille de votre aimable attention.
Jean-Pierre Gaillard
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