Présentation d’ouvrage par Jacques Chantereau
Vivre et travailler au Maghreb
Regards croisés
Jean-Paul Lanly et Abdelhamid Khaldi
L’Harmattan
Mars 2019, 478 p.
Le livre Vivre et travailler en forêt au Maghreb vient à la suite d’un précédent ouvrage Vivre et travailler en forêts tropicales publié en 2016, déjà chez l’Harmattan.
Il a le même objectif qui est de témoigner du vécu et des connaissances de collègues forestiers impliqués dans la préservation et l’exploitation durable de forêts, mais cette fois, en Afrique du Nord. L’ouvrage est le résultat d’un travail collectif dense et varié dans ses récits, certains étant techniques et professionnels, alors que d’autres sont plus personnels. L’ouvrage avec ses contributeurs maghrébins et français fait aussi valoir une diversité de sensibilités et de regards intéressants relatifs à la transition difficile qu’ils ont vécue de la fin de la période coloniale à l’indépendance du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie. Cette distinction des trois pays structure les deux grands chapitres du livre, le premier étant consacré à l’histoire de la forêt depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui et le second étant celui des expériences personnelles.
La partie historique est fort documentée et instructive. L’Afrique du Nord a connu depuis l’époque romaine une succession de conquêtes qui n’a pas ménagé les espaces naturels. Durant la colonisation française, des différences administratives de gestion forestière ont existé entre les trois pays, faisant une place variable aux droits coutumiers. Les personnalités marquantes de cette époque sont présentées. Plus récemment, les vicissitudes de l’histoire ont eu en zone forestière un impact négatif, comme la Seconde Guerre mondiale et la Révolution du jasmin en Tunisie, ou un impact positif et inattendu, comme la guerre d’Algérie. Enfin, le livre apporte nombre d’informations actualisées sur la situation des peuplements forestiers au Maghreb.
La partie des témoignages est largement consacrée aux années 50-70. On découvre l’importance de ce qu’était alors le maillage terrain des services forestiers au Maghreb. Il y avait aussi des services comme celui de Défense et Restauration des Sols (DRS) pour lutter contre la dégradation des zones agricoles et forestières dans un contexte d’incertitude politique et d’insécurité. Bien souvent, les forestiers étaient armés et limités dans leurs déplacements mais il n’y a pas eu de véritable animosité à leur égard. Dans un cas, au moment de l’indépendance, l’un d’eux eut même un arrangement local avec le FLN. Sans doute, leur mission pour le patrimoine forestier était largement comprise et acceptée. Ainsi, tous les acteurs de l’ouvrage témoignent de leur intérêt pour la diversité, la richesse naturelle et la beauté des espaces boisés dans lesquels ils intervenaient. Ils nous font également part de leur motivation à travailler à leur préservation et à leur valorisation même si certains, bien jeunes à l’époque, pensent qu’ils auraient pu faire plus et mieux. En Algérie, nos collègues français affectés venaient de métropole. Ils n’ont pas vécu passionnellement les évènements, sinon avec le sentiment que l’indépendance aurait pu et dû se passer de manière bien différente. Peu sont restés après les accords d’Evian sauf par engagement politique. L’époque des indépendances pour les pays du Maghreb a alors vu le transfert des services forestiers aux collègues d’Afrique du Nord qui ont été confrontés à une multitude de problèmes : problèmes de formation, problèmes d’adaptation à de nouveaux codes forestiers et à des réformes agraires, problèmes liés à une excessive bureaucratie et centralisation… Dans ce contexte, les forestiers français ne sont plus intervenus que dans le cadre d’accords de coopération et sur des projets de développement.
Ce que je retiens plus particulièrement des contributeurs de cet ouvrage, c’est qu’au-delà des tensions historiques, des déconvenues et des succès de leur action, les forestiers constituent une fraternité ayant les mêmes objectifs, rêves et préoccupations. Tous ont conscience de la vulnérabilité des acquis et de l’incessante lutte qu’ils doivent mener dans l’intérêt général, mais aussi dans une perspective à long terme. Comme l’écrit l’un d’eux, « Les forestiers sont les seuls dans le monde à se préoccuper de ce qui se passera dans un siècle ou deux ». Au Maghreb, la croissance démographique et la réduction des disponibilités hydriques pèsent lourdement sur l’avenir des espaces boisés. Le livre nous alerte et nous rappelle que le développement ne peut réussir sans préservation et valorisation contrôlée des ressources naturelles.
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